«Si demain on perd cet hôpital, on ne pourra pas garantir la relève»

Dans un contexte de baisse des prestations versées aux hôpitaux, les responsables du Pôle Santé Vallée de Joux défendent un modèle de proximité et de soins intégrés, aujourd’hui mis à mal.

, 21 juillet 2025 à 09:16
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Le Pôle Santé Vallée de Joux | Image: DR
Entretien avec Pascale Meylan, directrice générale du Pôle Santé Vallée de Joux (PSVJ) et Surennaidoo Naiken, directeur médical et médecin-chef en chirurgie.
Première partie: Coupes budgétaires pour les hôpitaux vaudois: «On a un sentiment d’injustice profond»
Comment se traduirait un report de patients sur les autres établissements?
Surennaidoo Naiken: Premièrement, nous allons nous battre jusqu’au bout pour maintenir les activités. Deuxièmement, l'expérience et le vécu du corps médical, mais aussi du corps soignant, nous montrent clairement que, quand ça déborde ailleurs, ça déborde aussi un peu partout: les autres établissements sont bien contents de nous avoir. L'année dernière, le CHUV et d’autres établissements nous demandaient de prendre des patients et nous en envoyaient. Il y a eu le COVID, la canicule durant l’été 2022, ou encore la grippe l’an dernier. Les hôpitaux sont vite débordés. La fermeture potentielle d’un établissement aura des répercussions ailleurs: il ne faut pas oublier qu'ailleurs aussi, il y a eu des coupes. Les établissements restants seront obligés de continuer à prendre en charge des patients. On se dirige, à mon avis, vers une catastrophe.
«Les autres hôpitaux urbains ou de la plaine nous demandent de prendre en charge des patients. Où vont aller ces patients?»
Pascale Meylan: Chaque année, on vit des périodes d'engorgement des hôpitaux, qui mobilisent l'ensemble des lits, dont nous faisons partie. Les autres hôpitaux urbains ou de la plaine nous demandent de prendre en charge des patients. Où vont aller ces patients? C’est là une question essentielle.
Quelles démarches ont jusque-là été entreprises entre les établissements, face à ces annonces?
Meylan: Il y a une volonté de travailler ensemble, au sein de la FHV, mais pas que: sur l’ensemble du canton également, afin d'aller de manière unie auprès du Conseil d’Etat, de faire infléchir ces décisions et d'ouvrir le dialogue. Il est nécessaire qu'on y aille collectivement puis que chacune des institutions puisse défendre ses propres missions.
Naiken: Compte tenu de la manière dont cette annonce a été faite, il est difficile pour nous de nous concerter: beaucoup de personnes sont en vacances. Pour autant, on constate déjà une solidarité exemplaire. L'union fera la force afin de continuer à assurer les prestations pour la population.
Quelles autres conséquences sont à prévoir?
Naiken: On peut parler, évidemment, de potentiels licenciements et de l'impact que cela aura: il y aura forcément un impact économique. Notre région compte 8’000 habitants. Il y aura, là aussi, des répercussions.
«Certains médecins exerçant chez nous ont fait leur cursus puis se sont installés dans la région. Il y a une forme de fidélisation évidente.»
Par ailleurs, l’enjeu est également celui de la formation des médecins. Aujourd'hui, on a la même concentration en professionnels que dans des zones urbaines: soit un médecin pour 1’000 habitants. Certains médecins exerçant chez nous ont fait leur cursus puis se sont installés dans la région. Il y a une forme de fidélisation évidente envers la région.
Quelles pourraient, justement, être les conséquences en termes de relève?
Naiken: Si demain on perd cet hôpital, on ne pourra pas garantir la relève. Aujourd'hui, les médecins en formation bénéficient du plateau technique qu'offre le Pôle Santé, notamment dans le cadre des soins intégrés. On est un des centres de formation, que ce soit pour les soignants, pour d'autres métiers liés à la santé, mais aussi pour la médecine interne. Une fermeture voudrait tout simplement dire un site formateur en moins. La situation est la même pour le Pôle Santé du Pays d’Enhaut. Gouverner c’est prévoir: or, avec ces coupes, la relève médicale semble reléguée au second plan.
«Pouvoir faire leur apprentissage dans la région dans laquelle ils habitent, c'est à la fois pertinent pour la vie familiale mais aussi pour les coûts qui retombent sur les familles.»
Meylan: Nous sommes très actifs dans la formation des jeunes et offrons des formations d'apprentissage, tous métiers confondus. Ces jeunes se retrouvent aujourd’hui également menacés: ce sont des jeunes qui ont la chance de pouvoir, pour certains, faire leur apprentissage dans la région dans laquelle ils habitent. C'est à la fois pertinent pour la vie familiale mais aussi pour les coûts qui retombent sur les familles.
Le discours politique tourne pourtant autour de ces enjeux: assurer la relève, pallier la pénurie de médecins, rapprocher les soins des patients, faire face au vieillissement de la population, etc. Comment, dans ce contexte, interpréter cette nouvelle?
Meylan: Ces mesures paraissent incohérentes. Si la Vallée de Joux a déjà vécu des crises, ses habitants savent se mobiliser. C'est une région où les gens sont solidaires. Aujourd'hui, on mobilise les autorités locales et le monde économique, afin d’avoir, chacuns, des audiences avec le Conseil d'État. Nous sommes en mesure de démontrer l'importance de notre institution sur le territoire régional de la Vallée de Joux: nous employons d’ailleurs 250 personnes, dont plus de la moitié habitent sur le district de la Vallée de Joux. C'est un impact énorme en termes d'emplois.
Quelles conclusions tirer de cette situation?
Naiken: Le sentiment d'injustice persiste et va au-delà de la forme et du fond. On aurait pu faire de belles choses. Le Pôle Santé est un projet novateur, à la demande de l'État: sans entrer dans une polémique, il est important de le souligner. Nous ne voulons rien lâcher. L'accès aux soins, la réponse à l'urgence, le droit d'admission, les droits des patients. On est en train de tout bafouer. Or, s’il n'y a pas de négociation, ce sera à l'État d'assumer ces mesures et d'informer la population.
«La décision a été prise il y a sept ans de développer et de maintenir un accès de proximité aux soins pour la population. Les mesures prises aujourd'hui sont en complète contradiction avec ce qui a été dit il y a plusieurs années.»
Meylan: C’est incompréhensible, dans le sens où la décision a été prise il y a sept ans de développer et de maintenir un accès de proximité aux soins pour la population. Les mesures prises aujourd'hui sont en complète contradiction avec ce qui a été dit il y a plusieurs années. Pour nous, cela est inacceptable. Ce qui motive la mobilisation, c'est bien entendu notre personnel qui, au quotidien, œuvre pour offrir ces prestations à la Vallée de Joux et pour l'accès aux soins de notre population.

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