La nouvelle est tombée en pleine période estivale: des
coupes budgétaires de plusieurs millions de francs imposées aux hôpitaux vaudois. Parmi les établissements les plus touchés figure le
Pôle Santé Vallée de Joux (PSVJ), qui pourrait être contraint de cesser ses activités stationnaires et ambulatoires. Rencontre avec deux de ses responsables:
Pascale Meylan, directrice générale et
Surennaidoo Naiken, directeur médical et médecin-chef en chirurgie. Tous deux dénoncent une décision jugée brutale, prise sans concertation, dont les conséquences pourraient s’avérer lourdes pour la région.
Quels ont été les détails communiqués par le Conseil d'Etat au sujet de votre établissement?
Surennaidoo Naiken: Une coupe de 10’000 francs en plus de ce qu’on nous avait annoncé, soit 3’010’000 en moins. Ils affirment seulement être conscients que cela aura un impact chez nous et mentionnent notamment que ces mesures vont impliquer un arrêt des activités stationnaires et ambulatoires. C’est ainsi qu’ils le formulent: l’ampleur de ces coupes remettrait en cause de manière fondamentale nos missions et il serait «indispensable» que nous prenions des mesures de restructuration – incluant l'arrêt des activités stationnaires et ambulatoires.
Créé en 2018, le Pôle Santé Vallée de Joux propose une offre intégrée et unique dans la région: un hôpital, un établissement médico-social et une organisation d’aide et de soins à domicile. Il assure également des prestations de soins aigus et préhospitaliers – dont un service d’urgence 24h/24 et un bloc opératoire – ainsi que des soins ambulatoires. Le Pôle emploie aujourd’hui 250 collaboratrices et collaborateurs.
Pascale Meylan: On nous demande de venir avec un plan de mesures au 15 septembre. Vous pouvez imaginer que cette annonce – qui n'est pas anticipée, nous n'avons eu aucune discussion préalable – elle n'est pas acceptable en l'état. Pour l'ensemble des institutions qui sont particulièrement touchées, c'est un choc.
Allez-vous pouvoir échanger avec le Département de la santé avant le 15 septembre?
Meylan: On espère discuter avec le DSAS en amont du 15 septembre – en réalité, c’est nécessaire si l’on veut pouvoir élaborer un plan de mesures. D'ailleurs, on aurait, à minima, espéré pouvoir discuter en amont de ces décisions. Ça ne s'est pas fait. Et ça, vraiment, sur la forme, c’est un message.
«Essayez d'appeler la direction générale de la santé et essayez de trouver un interlocuteur: la plupart sont en vacances.»
Naiken: On déplore effectivement la façon dont cela a été fait. Essayez d'appeler la direction générale de la santé et essayez de trouver un interlocuteur: la plupart sont en vacances. C'est ça aussi qui est problématique. Non seulement ils ont envoyé ça à tous les établissements en même temps, mais ils l’ont fait en pleine période estivale.
Ces décisions ont donc été prises de manière unilatérale?
Meylan: Oui, et c'est regrettable. Ces décisions ont été prises sans évaluation d'impact sur l'institution, sur la région et sur les effectifs. Il en va de la continuité des soins et du respect de nos missions.
«Le Pôle Santé a été mis en exploitation il y a cinq ans, en 2020, sous l'impulsion et avec le soutien de l'État.»
Naiken: Et vous imaginez l’effet sur les collaborateurs et collaboratrices ainsi que de la population. C'est catastrophique. Les gens ne comprennent pas: le Pôle Santé a été mis en exploitation il y a cinq ans, en 2020, sous l'impulsion et avec le soutien de l'État. La population nous accorde aujourd'hui une entière confiance dans nos missions et nos prestations. Pour la population, c'est en grande majorité l’incompréhension.
Avez-vous reçu des signaux précurseurs ?
Meylan: On savait qu'il y aurait des annonces pour l'année 2026, mais en tout cas pas de cette ampleur.
Naiken: Vous savez, dans le système de la santé, en Suisse romande, et même en Suisse alémanique, il y a très peu d'institutions qui sont à l'équilibre financier. C'est que le système arrive aussi au bout. On est un peu perplexes car, depuis 2018, il y avait un comité de pilotage avec les trois communes de la Vallée et l’Etat Ils connaissaient également le bassin de population. C'était aussi un risque à prendre, qu’ils ont voulu prendre, en promettant de ne pas toucher aux missions. On a fait un gros travail dans le cadre de la planification hospitalière. Là aussi, ils nous ont octroyé le paquet de base, les urgences, le bloc opératoire, la totalité. Et aujourd'hui, j'ai le sentiment qu'on est en train de payer le prix d'être un bon élève.
«On est en train de payer le prix d'être un bon élève», c’est-à-dire?
Naiken: À un certain moment, on paie les pots cassés. Pourquoi? Parce qu'on nous dit «vous n'avez pas assez d'hospitalisations». Mais on diffère des autres hôpitaux.
«C'est un vrai concept de soins intégrés. On l'a démontré clairement, et on a d'ailleurs été félicités pour cela: nos prises en charge sont en lien direct avec la politique cantonale de maintien à domicile.»
Nous avons d'une part les soins aigus, les urgences, tout le fonctionnement propre à un hôpital. Mais sous la même coupole, nous gérons EMS, services d'accueil temporaire, ou encore soins communautaires: tous les médecins de la région ont une activité au sein du pôle. C'est un vrai concept de soins intégrés. On l'a démontré clairement, et on a d'ailleurs été félicités pour cela: nos prises en charge sont en lien direct avec la politique cantonale de maintien à domicile.
Comment cela se traduit-il concrètement dans votre approche des soins?
Naiken: Si vous prenez tous les indicateurs, si vous benchmarkez avec d'autres établissements, vous le verrez. En amont, en préhospitalier, il y a tout un travail qui est fait. Ce sont les mêmes médecins qui ont une activité chez nous qui sont aussi dans les cabinets. Grâce à une collaboration renforcée, on arrive à maintenir certains patients à domicile. Cela veut dire moins de dépenses pour le système de santé, et, d’un autre côté, aussi moins de bénéfices pour nous. Il faut savoir ce que l’on veut.
«Grâce à une collaboration renforcée, on arrive à maintenir certains patients à domicile. Cela veut dire moins de dépenses pour le système de santé, et, d’un autre côté, aussi moins de bénéfices pour nous.»
En parallèle, on fait plus de chirurgie ambulatoire que dans d'autres établissements, parce qu'on a tout un dispositif communautaire, dans le cas des soins intégrés, en collaboration avec le médecin traitant et/ou les équipes du CMS. Tout cela coûte moins cher. Si l’on voulait se gérer comme une entreprise, on aurait hospitalisé tout le monde: ça coûterait beaucoup plus cher, mais nous, comme établissement, nous serions dans les chiffres noirs. Vous voyez? Nous, on a réellement pris ce virage ambulatoire, également voulu par l'État.
Y a-t-il une reconnaissance de vos efforts dans cette direction?
Naiken: De manière générale, on a un sentiment d'injustice: on a respecté la politique du maintien à domicile, de «quasi-hospitalisation» à domicile, on a respecté le virage ambulatoire. Si vous regardez la tranche d'âge des personnes qui viennent dans notre EMS, ils y viennent beaucoup plus tard que dans d’autres établissements: car derrière, il y a tout ce dispositif communautaire qu'on a mis en place. Et ça, malheureusement, c'est intangible. Ça ne semble pas se voir dans les tableaux Excel de la Direction de la santé. On invite les gens à vraiment regarder la réalité du terrain.
Donc certains critères devraient mieux être pris en compte dans l’évaluation menée par la DGS?
Naiken: C'est évident. Une autre chose, c’est qu’on est géographiquement éloignés. La Vallée de Joux est à 45 minutes du prochain établissement hospitalier. L'hiver, on a des routes enneigées: sous ces conditions, les 45 minutes, vous ne le faites pas. Aujourd'hui, si je vous demande d'aller à Yverdon, vous prendrez deux heures à deux heures et demi dans les transports publics. Pour la population qui ne conduit pas, pour diverses raisons, c'est toute une organisation.
«La Vallée de Joux est à 45 minutes du prochain établissement hospitalier. L'hiver, on a des routes enneigées: sous ces conditions, les 45 minutes, vous ne le faites pas.»
On ne parle également pas assez du risque de renoncement aux soins dû à la distance. De moins en moins de personnes ont recours au dépistage colorectal ou au dépistage des cancers de la peau: car, pour eux, c'est toute une organisation. Par conséquent, avoir une structure de proximité s’avère essentiel.