La pénurie de médecins favorise les échanges transfrontaliers, mais ce mouvement a un revers inquiétant: certains praticiens radiés dans un pays continuent à exercer dans le pays voisin.
Une enquête internationale menée par plusieurs médias révèle qu’au moins six médecins travaillent actuellement en Suisse, alors qu’ils sont interdits d’exercer ailleurs pour des fautes graves. À l’inverse, au moins quinze médecins continuent à travailler à l’étranger alors qu’ils n’ont plus le droit de soigner des patients dans notre pays. C’est ce que rapporte
«Tamedia», qui a enquêté sur le sujet en collaboration avec des journalistes issus de plus de 40 pays.
Parmi les cas considérés comme particulièrement graves figure celui d’un médecin norvégien exerçant aujourd’hui dans le canton de Zurich. Dans son pays d’origine, il avait été condamné pour agression sexuelle sur des patientes et avait perdu son autorisation d’exercer. Il s’est ensuite installé en Allemagne, où il a d’abord travaillé comme médecin de service dans un hôpital, puis dans un cabinet ambulatoire. Il a, par la suite, déménagé en Suisse.
Au total, l’enquête menée par ces médias a permis d’identifier 134 médecins exerçant dans 49 pays malgré le retrait de leur autorisation.
Absence de système d'alerte
La Suisse apparaît particulièrement vulnérable dans ce domaine. L’Union européenne gère un système d’alerte transfrontalier qui informe automatiquement les autorités nationales lorsqu’un médecin perd son droit de pratiquer. Des interventions politiques en faveur d’une adhésion de la Suisse à ce système existent depuis des années, mais elles n’ont pas abouti.
«Les cantons ne sont pas tenus d’informer proactivement les instances internationales en cas de retrait d’une autorisation de pratiquer», explique Frédéric Berthoud, responsable de la reconnaissance des qualifications professionnelles au Secrétariat d’État à l’éducation, dans un entretien avec le «Tages-Anzeiger». C’est donc souvent par hasard que les autres pays prennent connaissance des cas de médecins fautifs.
De son côté, Yvonne Gilli, présidente de la FMH, alerte sur les conséquences: «La mise en réseau avec le système d’alerte de l’UE serait d’une aide considérable pour lutter contre le problème.» Sans cela, la Suisse pourrait devenir un refuge pour des médecins n’ayant plus le droit d’exercer ailleurs. «Les personnes ayant une certaine inclination criminelle se rendent là où il y a des lacunes dans le système.»
Médecins sans frontières... cantonales
Actuellement, il n’existe aucun contrôle automatique permettant de savoir si un médecin continue d’exercer dans un autre canton après le retrait d’une autorisation. Les raisons de ce retrait ou du refus d’autorisation ne sont pas non plus divulguées. Pour Schneuwly, «une collaboration fonctionnelle entre la Confédération et les cantons serait techniquement possible et empêcherait les médecins de continuer à exercer dans un autre canton malgré une autorisation bloquée».
Medinside a également enquêté sur le cas d’un médecin auquel la Cour suprême de Zurich a interdit à vie «toute activité professionnelle ou extraprofessionnelle organisée dans le domaine de la santé impliquant un contact direct avec les patients». Cet homme d’une cinquantaine d’années s’est aussi vu interdire «toute activité professionnelle ou extraprofessionnelle organisée» impliquant «un contact régulier avec des personnes majeures particulièrement vulnérables». Cette décision faisait suite à une condamnation pour profanation. Or, en 2023, ce médecin exerçait de nouveau dans un cabinet de médecine générale, à environ 600 kilomètres de Zurich.
Ce cas réapparaît aujourd’hui dans le cadre de l’enquête internationale: la Suisse ne faisant pas partie du système d’information IMI, les autorités allemandes n’avaient pas été averties. À la suite des recherches menées par «ZDF Frontal», le gouvernement régional de Düsseldorf a engagé des procédures.