Passer plus de temps avec les patients améliore-t-il la qualité de la prise en charge des douleurs? C'est la question que se sont posée les équipes médicales et soignantes des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) à travers une étude rétrospective publiée dans le
«International Journal for Quality in Health Care». Au cœur de l'étude: un programme lancé en 2017 sous l’impulsion de la Direction médicale et de la Direction des soins, intitulé «Plus de temps au service des patients et des patientes» (PTP).
L’objectif est ambitieux: mieux protéger et structurer le temps clinique, améliorer la coordination entre les équipes médicales, soignantes et administratives, favoriser la communication et la prise de décision partagée, et réduire les interruptions lors des soins. Concrètement, ce programme propose une boîte à outils de plus de 50 interventions, adaptables au contexte de chaque unité, alliant outils de communication auprès des patients, réunions interprofessionnelles, visites multidisciplinaires ou encore processus d’amélioration continue. Depuis son lancement, le programme a été déployé dans plus de 70 unités des HUG.
- Clement P Buclin, Denis Mongin, Nils Bürgisser, Amandine Berner, Pauline Darbellay Farhoumand, Jean-Luc Reny, Thomas Agoritsas, Delphine S Courvoisier, «Impact of a clinical encounter time protection program on pain management: a retrospective difference-in-difference study», dans: «International Journal for Quality in Health Care», octobre 2025.
- https://doi.org/10.1093/intqhc/mzaf114
L’étude a comparé 38 unités ayant mis en œuvre le programme à 38 unités témoins, pour un total de 363’221 scores de douleur (Échelle Visuelle Analogique, VAS ≥ 4) relevés chez environ 15’000 patients hospitalisés entre 2018 et 2022, correspondant à 80’000 séjours. Trois mesures principales ont été évaluées : les délais d'administration des analgésiques, la qualité de la documentation sur la douleur et la satisfaction des patients 10 à 14 jours après leur sortie. Parmi ces derniers, 8’411 ont répondu au questionnaire de satisfaction, soit un taux de réponse de 53,5%.
Échanges renforcés: des résultats mesurables
Les résultats obtenus s'avèrent encourageants et confirment l'idée que le développement des échanges, la promotion des décisions partagées et la réduction des interruptions de soins ont un impact positif:
- Les unités ayant mis en œuvre le programme ont montré une augmentation significative de l’administration des analgésiques en temps opportun par rapport aux unités témoins (OR: 1,46, IC à 95%: [1,37–1,56]), effet qui s’est maintenu dans le temps.
- La documentation de la douleur s’est également améliorée de manière significative au sein des unités d’intervention (OR: 1,47, IC à 95%: [1,15–1,88]), alors qu’une progression plus modeste était observée dans les unités témoins.
- En revanche, la satisfaction des patients n’a pas révélé d’amélioration significative. Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer: le questionnaire était envoyé deux semaines après la sortie, introduisant un possible biais de mémoire, et les taux de satisfaction initiaux, proches de 90%, laisseraient peu de marge pour un gain mesurable, soulignent les auteurs. Le taux de réponse de 53,3% pourrait également avoir introduit un biais de sélection.
Néanmoins, les auteurs soulignent plusieurs limites méthodologiques qui empêchent d’évaluer pleinement la qualité de la prise en charge. Le critère de jugement principal – la rapidité de la prise en charge de la douleur – ne reflète qu’imparfaitement la complexité de l’approche clinique: il ne tient pas compte des interventions non pharmacologiques ni des processus décisionnels des médecins, souvent guidés par les valeurs VAS antérieures pour adapter le traitement.
Enjeu futur: identifier les interventions clés
De futures études devraient permettre d’évaluer de manière robuste l’impact de ces programmes sur l’expérience des patients ainsi que sur l’engagement et la satisfaction des professionnels de santé, soulignent les auteurs. Ils notent également la difficulté, face à la diversité des contextes de soins, d’isoler les éléments déterminants du programme ou d’identifier les facteurs contextuels ayant favorisé ou limité son succès.
«Les institutions qui envisagent de mettre en œuvre des programmes similaires devraient collaborer avec des chercheurs afin d'élaborer des cadres d'évaluation, notamment en ce qui concerne les résultats pertinents pour les patients et le rapport coût-efficacité, afin de produire des données probantes de meilleure qualité qui guideront l'affectation future des ressources», conclut l'équipe de recherche.
«Améliorer les échanges: Une meilleure implication du patient dans ses soins», Hôpitaux universitaires de Genève, octobre 2019