Chaque matin, dans les services de médecine des hôpitaux, les médecins assistants font leur ronde: ils parcourent les couloirs pour examiner chaque patient, échangent avec le personnel infirmier, ajustent les traitements… Un moment essentiel pour le suivi clinique et la formation médicale. Or, ces visites sont souvent ponctuées d’interruptions: recherche d’informations en urgence, tâches administratives, sollicitations diverses… autant de facteurs qui érodent le temps passé auprès des patients.
Comment optimiser ce rituel quotidien? Et si la clé de visites plus fluides et plus humaines résidait simplement dans un temps de préparation supplémentaire?
C’est la piste explorée par une équipe de recherche en Suisse romande: Antoine Garnier (Hôpital fribourgeois, Université de Fribourg) aux côtés de plusieurs chercheurs rattachés à l’UNIL et au CHUV – Vanessa Kraege, Fabrizio Cominetti, Matteo Monti, Pedro Marques-Vidal, François Bastardot, Peter Vollenweider, Gerard Waeber, Julien Castioni et David Gachoud.
Dans une étude publiée en juillet 2025, ils livrent les premières conclusions de plus de 1'200 heures d’observation directe au sein du Service de médecine interne du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). Résultat: un décalage stratégique de l’horaire des visites permet d’améliorer leur déroulement – et même d’en réduire la durée – sans en sacrifier la qualité.
Pourquoi changer l’horaire des visites?
En 2017, le CHUV a introduit plusieurs réformes organisationnelles, dont le décalage des visites matinales de 9h à 10h, afin d’offrir aux médecins un temps de préparation supplémentaire. Ce temps gagné en amont devait notamment leur permettre de:
- consulter les dossiers médicaux électroniques;
- récupérer les résultats d’examens;
- préparer les traitements et les plans de sortie;
- contacter le médecin traitant et d'autres médecins spécialistes;
- gérer les situations cliniques urgentes avant de démarrer les visites.
Objectif: réduire les interruptions pendant la visite et maximiser la disponibilité des équipes auprès des patients. Cette initiative met en lumière la nécessité de «remettre en question et de réadapter certains fonctionnements que l’on a longtemps considérés comme immuables, telle que l’organisation de la journée de travail interprofessionnelle», commentent les auteurs auprès de Medinside.
L’étude compare ainsi deux périodes: 2015 (avant la réforme) et 2018 (après mise en œuvre). Dans chaque phase, entre 35 et 40 médecins assistants ont été suivis dans les huit unités du Service de médecine interne.
Des visites plus courtes, sans perte pour le patient
Entre les deux périodes observées, la durée moyenne des visites est passée de 142 minutes en 2015 à 112 minutes en 2018 – soit 30 minutes de moins par ronde. Pourtant, le temps directement passé devant les patients est resté stable, à 47%.
Autres évolutions notables:
- l’usage de l’ordinateur pendant les visites matinales a chuté de 43% à 32%;
- au chevet du patient, ce temps d’écran a été divisé par deux (de 16% à 8%);
- le pourcentage de temps passé avec un collègue (infirmière et/ou chef de clinique) pendant les visites a légèrement augmenté.
Pour les auteurs, cela traduit une meilleure concentration sur l’examen clinique et les échanges humains.
Plus de supervision, moins d’administration
La réforme ne s’est pas seulement traduite par un gain de temps, mais aussi par une redistribution qualitative des activités:
- les moments de supervision et de formation sont passés de 12% à 32% du temps de visite;
- le temps consacré aux tâches administratives a diminué, de 54% à 41%.
De plus, les médecins assistants n’ont pas compensé la réduction des visites matinales par des visites supplémentaires l’après-midi: le temps total consacré aux visites sur la journée est resté stable. La ponctualité s’est aussi améliorée, les visites commençant plus souvent à l’heure prévue.
Ce que cela change dans la pratique
Pour les auteurs, le temps de préparation supplémentaire a permis aux médecins assistants de mieux anticiper les besoins des patients et de se coordonner en amont avec l’équipe. Moins de temps perdu à chercher des informations en direct signifie plus de disponibilité pour le soin et la formation.
Cependant, ils rappellent qu’une visite plus courte n’est pas nécessairement synonyme de meilleure performance. Les effets sur la qualité des soins, la sécurité des patients et la satisfaction des soignants doivent encore être évalués.
Une réflexion plus large
Lors de
focus groups menés avec les médecins assistants de la volée 2018, un constat s’est imposé: «Les médecins en formation sont de plus en plus préoccupés par le temps, qui rythme chaque geste de leur quotidien. Les tâches sont autant de haies qui se succèdent, et à peine l’une franchie, une autre se dresse déjà», rapportent les auteurs à Medinside. Et d’ajouter: «Cette évolution dans la relation au temps pourrait fragiliser les fondements de la médecine clinique et compromettre la capacité des hôpitaux à préserver le sens profond de la profession. En effet, on vit une accélération générale au niveau sociétal, avec une digitalisation croissante mais pas toujours facilitante. Il est donc essentiel de rester vigilants et de tout mettre en œuvre pour préserver – ou retrouver – ce sens qui nous a fait choisir ce métier.»
Et après?
«On vit une accélération générale au niveau sociétal, avec une digitalisation croissante mais pas toujours facilitante. Il est donc essentiel de rester vigilants et de tout mettre en œuvre pour préserver – ou retrouver – ce sens qui nous a fait choisir ce métier.» soulignent les auteurs de l'étude.
Repenser l’agenda hospitalier, même par un simple décalage d’une heure, peut améliorer l’efficacité et la qualité perçue des visites médicales. Sans moyens supplémentaires, il est possible de libérer du temps pour le patient, la formation et la coordination des soins. Un enseignement organisationnel qui pourrait inspirer bien au-delà du CHUV.
Interrogés par Medinside, les auteurs de l'étude concluent ainsi: «Notre article illustre comment une réflexion hors des sentiers battus peut permettre d’optimiser les pratiques, sans ressources supplémentaires, pour un fonctionnement plus fluide et bénéfique pour tous».