Le système de santé suisse manque de personnel qualifié. En conséquence, les services d’urgence sont surchargés, les temps d’attente s’allongent, le contact direct avec les patients se réduit, la frustration grandit chez les professionnels et la qualité des soins se détériore.
Bien que la situation soit critique, les solutions naturelles – la migration de personnel qualifié et le recrutement de la relève – restent durablement bloquées. Le cas des médecins illustre particulièrement bien l’impasse créée par les autorités.
Les instances compétentes pour l’octroi et la reconnaissance des qualifications professionnelles des médecins, à savoir la Commission des professions médicales (MEBEKO) et l’Institut suisse pour la formation postgraduée et continue (ISFM), ont de facto suspendu une grande partie de leurs activités. Sur leurs sites internet, la MEBEKO et l’ISFM annoncent que «la durée de traitement des titres de spécialiste est d’au moins six mois» et que «la durée totale peut actuellement atteindre six mois».
«Frustration et indignation dans la pratique»
Dans la pratique, les délais sont encore nettement plus longs. C’est pourquoi frustration et indignation règnent non seulement chez les jeunes médecins spécialistes directement concernés et leurs associations, mais aussi chez les employeurs. Le retard des autorités fait depuis des mois l’objet de débats médiatiques et attire désormais l’attention du monde politique:
Mais qu’en est-il d’un point de vue juridique? Les acteurs concernés doivent-ils se résigner à attendre, ou disposent-ils de leviers d’action? Autant le dire d’emblée: ni l’ISFM ni la MEBEKO ne se situent dans une zone de non-droit.
Origine du dilemme – conséquences juridiques du retard dans l'octroi et la reconnaissance des titres de formation postgraduée en médecine spécialisée
L’octroi d’un titre fédéral de formation postgraduée et la reconnaissance d’un titre étranger sont essentiels pour l’exercice de la profession à différents niveaux. Au niveau des instances de reconnaissance et de délivrance relevant du droit sanitaire, l’accès à l’activité professionnelle en Suisse est limité par la loi sur les professions médicales (LPMéd) et dépend de la conformité au droit de la pratique des autorités:
- Selon l’art. 33a LPMéd, l’exercice d’une profession sous supervision requiert un diplôme fédéral de médecin ou un diplôme étranger reconnu, ainsi qu’une inscription au registre des professions médicales;
- Pour débuter une activité sous sa propre responsabilité, il faut une autorisation de pratiquer (art. 34 LPMéd), qui exige, selon l’art. 36 al. 1 et suivants LPMéd, un diplôme fédéral de médecin et un titre postgrade fédéral ou reconnu.
Les conditions et les modalités d'octroi et de reconnaissance des titres postgrades sont réglées au préalable dans la LPMéd. Les compétences se répartissent ainsi:
- L’octroi d’un titre postgrade fédéral relève de l’ISFM (art. 55 al. 1 let. d LPMéd);
- La reconnaissance des titres postgrades étrangers relève de la MEBEKO (art. 21 et art. 50 al. 1 let. d LPMéd).
Les auteurs
- Mirjam Olah est avocate spécialisée dans le domaine de la santé et des sciences de la vie au sein du cabinet zurichois Walder Wyss. Elle conseille sur les questions de réglementation dans l’ensemble du droit de la santé, en particulier en lien avec le droit de l’assurance-maladie. Elle dispose d’une grande expérience en représentation de clients devant les juridictions et autorités administratives, et publie régulièrement dans sa spécialité.
- Daniel Staffelbach est associé au sein de l’équipe marchés réglementés, concurrence, technologie et propriété intellectuelle du cabinet Walder Wyss. Il conseille des clients dans le domaine Health Care & Life Science et des assurances, avec un accent particulier sur le droit des contrats, le droit commercial, le droit public et le droit du travail.
L'autorisation d'exercer à la charge de l'assurance obligatoire des soins (AOS) est d'une importance capitale pour l'avancement économique et, elle aussi, n'est accessible qu'à la suite de l'octroi d'un titre postgrade fédéral ou de la reconnaissance d'un titre postgrade étranger.
Toutefois, là aussi, il faut s'attendre à des procédures supplémentaires pouvant durer jusqu'à trois mois selon les cantons.
En raison de leurs délais de traitement disproportionnés, l'ISFM et la MEBEKO empêchent les professionnels hautement qualifiés d'exercer une activité professionnelle en Suisse.
Ces autorités ne se rendent pas seulement coupables d'une violation de la liberté économique et des droits à la libre circulation des professionnels concernés, garantis par le droit international public, mais elles provoquent en même temps une aggravation fondamentale de la pénurie de personnel qualifié et potentialisent en outre la mise en danger aiguë de la situation des soins des patientes et des patients.
D’un point de vue juridique, l’ISFM et la MEBEKO se situent ainsi entre la violation de l’interdiction de retarder l’action en justice et le déni de justice. En ce qui concerne la reconnaissance des titres de spécialiste étrangers de l’UE/AELE et du Royaume-Uni, le comportement des autorités viole en outre le droit international supérieur.
Durée excessive de la procédure – violation des règles de procédure?
La LPMéd ne prévoit pas de réglementation explicite concernant la durée de la procédure, ni pour l'octroi de titres postgrades fédéraux, ni pour la reconnaissance de qualifications professionnelles étrangères.
Les professionnels de la santé concernés ont, en tant que contenu partiel de la garantie générale de procédure de l'art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale (Cst.), un droit constitutionnel à ce que leur demande soit jugée dans un délai raisonnable.
Selon la jurisprudence, ni une charge de travail élevée, ni une dotation insuffisante en personnel de l'autorité n'excluent une violation de l'interdiction de retarder l'action en justice et de refuser d'agir. Le délai de traitement considéré comme raisonnable au sens de l'art. 29 al. 1 Cst. est généralement déterminé par les circonstances du cas d'espèce.
En ce qui concerne la procédure d'octroi du titre par l'ISFM, les bases déontologiques déterminantes stipulent tout de même expressément à l'art. 45, al. 3 de la Réglementation pour la formation postgraduée de l'ISFM (RFP ISFM) que le traitement des demandes d'octroi de titres de spécialiste doit être achevé dans les deux mois suivant la réception des dossiers complets.
Le droit international public supérieur et directement applicable établit des prescriptions contraignantes concernant la durée des procédures et constitue ainsi, sur une base générale, un critère de référence obligatoire pour les délais appropriés concernant l'octroi des titres postgrades fédéraux.
«Violation des règles de procédure de la directive 2005/36/CE»
Dans le domaine d'application de la directive européenne sur la reconnaissance des qualifications professionnelles, qui est considérée comme directement applicable dans les relations entre l'UE et la Suisse en raison de l'accord sur la libre circulation des personnes concernant la reconnaissance des titres postgrades étrangers, la durée de la procédure de reconnaissance est réglée de manière contraignante au niveau du droit des traités internationaux à l'art. 51 de la
directive 2005/36/CE. Selon cette disposition, la MEBEKO doit impérativement:
- accuser réception des documents de reconnaissance dans un délai d'un mois et indiquer s'il manque des documents ou des attestations;
- après réception de la demande complète, prendre une décision sur la demande de reconnaissance dans les plus brefs délais et au plus tard dans les trois mois.
En cas de dépassement du délai, une demande de reconnaissance n'est pas automatiquement considérée comme acceptée; en d'autres termes, les médecins concernés ne peuvent pas simplement commencer leur activité professionnelle en Suisse de leur propre chef après l'expiration des trois mois.
Mais de lege ferenda, ce serait une solution qui mérite d'être examinée, du moins dans le domaine de la reconnaissance automatique. Dans le cadre de la directive sur la reconnaissance professionnelle, la MEBEKO peut toutefois être tenue de verser des dommages et intérêts pour les pertes financières résultant d'un retard juridique contraire à la directive, par exemple en raison d'un manque à gagner.
Il ne fait aucun doute que ce retard considérable entraînera des pertes financières considérables, tant pour les médecins concernés que pour les employeurs.
«Obligation d'indemnisation en cas de dépassement des délais»
Actuellement, la MEBEKO et l'ISFM dépassent systématiquement ces délais. La faute d'organisation à cet égard – ou plutôt la défaillance d'organisation – ouvre ainsi la voie à des demandes de dommages et intérêts substantiels, notamment au regard de la jurisprudence relative au retard et au déni de justice.
Options d'action contre un manquement à la loi
Les professionnels concernés, leurs associations et également les employeurs potentiels disposent des voies de droit et des recours suivants pour se défendre contre un retard systématique de procédure, une décision négative ou encore des défaillances organisationnelles des instances de reconnaissance compétentes:
- En cas de retard de procédure:
- un recours pour déni de justice ou pour retard de justice devant le Tribunal administratif fédéral;
- une plainte en matière de surveillance auprès des instances de surveillance concernées;
- une demande d'indemnisation, soit dans le cadre d'une procédure distincte, soit en combinaison avec un autre recours.
- En cas de décision négative:
- contestation de la décision négative de la commission des titres de l'ISFM auprès de la commission d'opposition pour les titres de formation postgraduée du SWIF, puis contestation de la décision sur opposition auprès du Tribunal administratif fédéral ;
- contestation de la décision de la MEBEKO directement auprès du Tribunal administratif fédéral.
Il faudrait également envisager une procédure en responsabilité de l'État: l'État a l'obligation (organisationnelle) de doter ses autorités en personnel, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, de manière à ce qu'elles puissent mener et clore les procédures en cours sans retard évitable.
Compte tenu de la violation systématique de l'obligation de mettre à disposition ou de garantir les ressources en personnel nécessaires (mot-clé: défaillance organisationnelle), tant en ce qui concerne la MEBEKO que l'ISFM, une telle procédure constitue également une option d'action envisageable.
En ce qui concerne toutes les possibilités d'action, il convient toutefois de noter que les voies de recours et les recours correspondants ne fonctionnent généralement que si les tribunaux compétents travaillent de manière plus suffisante que l'ISFM ou la MEBEKO.
Des solutions alternatives comme solutions intermédiaires
Selon la situation de départ concrète, d'autres solutions peuvent être envisagées comme stratégie de transition au cas par cas:
- activité professionnelle sous la supervision d'un professionnel (délégation);
- activité professionnelle sous sa propre responsabilité professionnelle dans le champ d'application de la libre circulation des services de 90 jours, pour autant qu'un titre de formation postgraduée étranger ait été obtenu dans un Etat de l'UE/AELE ou au Royaume-Uni (setup prestation de services/indépendance).
La défaillance des instances de reconnaissance et de délivrance de la police sanitaire provoque de facto un retard plus important dans l'admission des médecins que ne le ferait n'importe quelle gestion cantonale des admissions selon l'art. 55a LAMal.
L'accès des patients à des soins de santé adéquats et de qualité par la voie administrative est ainsi rendu artificiellement plus difficile, voire empêché, sans que l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) compétent n'intervienne: «Honi soit qui mal y pense».
- La «question juridique de la semaine» est un contenu partenaire de Walder Wyss.
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