Changement de carrière: une obligation de remboursement pour les médecins?

Deux professeurs de médecine proposent des sanctions pour les médecins abandonnant ou réduisant leur activité professionnelle dès la fin de leurs études. Leur thèse: les places d'études ne manquent pas, c'est la contrainte qui fait défaut.

, 9 juin 2025 à 23:00
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La solution pourrait-elle se trouver ici? Campus de médecine de l'Université de Zurich-Irchel | Image: UZH, DR
Quiconque achève ses études de médecine et ne travaille ensuite qu’à temps partiel devrait rembourser une partie de sa formation. Il en irait de même pour celles et ceux qui quittent prématurément la profession: ils ont une dette envers la société. Telle est la revendication formulée par deux médecins renommés, relayée par la «Neue Zürcher Zeitung» et le «Tages-Anzeiger».
Concrètement, le pneumologue Erich W. Russi et l’interniste Johann Steurer remettent en question le «subventionnement inconditionnel» des études de médecine. À leurs yeux, quitter prématurément la profession ou exercer à temps partiel «sans justification sérieuse» devrait entraîner des conséquences financières. Ce levier serait plus efficace, selon eux, que l’augmentation du nombre de places d’étude pour combattre la pénurie de médecins.
Erich W. Russi a dirigé la clinique de pneumologie de l’Hôpital universitaire de Zurich (USZ) et a été doyen de la faculté de médecine de Zurich. Johann Steurer, quant à lui, est professeur émérite de médecine interne dans le même établissement. «Depuis mon mandat de doyen, des places supplémentaires ont été créées, mais cela n’a pas suffi à atténuer l’urgence», déplore Erich Russi dans la NZZ.
«La tendance croissante à répartir de manière arbitraire vie professionnelle et vie privée ne doit pas être considérée comme une affaire purement personnelle.»
Dans le Tages-Anzeiger, Johann Steurer affirme de son côté: «La Suisse ne manque pas de médecins formés.» En effet, le nombre de praticiens a augmenté deux fois plus vite que la population au cours des dix dernières années. Alors, pourquoi cette pénurie?
Augmenter les places d’étude ne semble pas être la solution prônée par Russi et Steurer. Selon eux, cela ne ferait que déplacer le goulet d’étranglement ailleurs. Le nombre de postes de formation postgraduée est en effet appelé à diminuer, notamment à cause des fermetures d’hôpitaux. Le problème est déjà palpable aujourd’hui: alors qu’un chirurgien devait autrefois effectuer 1'000 interventions pour obtenir son titre de spécialiste, il n’en faut plus que 350 aujourd’hui – et encore, les interventions partielles sont comptabilisées, faute de pouvoir atteindre les chiffres requis.
Russi et Steurer en sont conscients: leur prise de position n'est pas dans l'air du temps. Le droit des professionnels de santé à un équilibre entre vie privée et travail est aujourd’hui largement reconnu. Il est aussi admis que les femmes joueront un rôle central dans la garantie des soins à l’avenir, et qu’elles demandent plus de flexibilité et de travail à temps partiel.
Mais «la tendance croissante à répartir de manière arbitraire vie professionnelle et vie privée ne doit pas être considérée comme une affaire purement personnelle», affirme Erich W. Russi: la société investit davantage dans la formation des médecins que dans d'autres domaines d'études.
«C'est très bien que quelqu'un devienne conseiller en gestion d'entreprise après ses études de médecine, mais cela devrait avoir certaines conséquences.»
Johann Steurer abonde dans ce sens: «Il n’est pas normal que des personnes ayant suivi une formation aussi coûteuse travaillent ensuite à 60% ou moins uniquement pour optimiser leur équilibre personnel.» Il déplore également le nombre élevé de diplômés qui n’entrent jamais dans la profession. «C'est très bien que quelqu'un devienne conseiller en gestion d'entreprise après ses études de médecine, mais cela devrait avoir certaines conséquences.»
Des voix critiques s’élèvent néanmoins. Nelly Blindenbacher, membre du comité directeur de l’ASMAC (Association suisse des médecins-assistants et chefs de clinique), s’oppose fermement à cette idée: «Cela n’existe dans aucun autre domaine d’études en Suisse», déclare-t-elle dans le Tages-Anzeiger. Une obligation de remboursement pour lutter contre la pénurie de personnel qualifié serait disproportionnée. Selon la représentante de l'ASMAC, l'identification avec la profession ne passe aujourd'hui plus par le temps de travail, et cela est accepté dans toutes les branches – sauf en médecine.
Tobias Burkhardt, président de la Société des médecins zurichois, considère toutefois que les propositions de Russi et Steurer méritent d’être examinées. Mais si un système de malus devait être mis en place, il faudrait, selon lui, l’appliquer avec nuance. En principe, il préconise plutôt la carotte que le bâton: «Nous devons nous demander comment rendre la profession plus attrayante et permettre des taux d'occupation élevés.»
En toile de fond, les chiffres confirment une baisse de la charge de travail. Selon la statistique médicale de la FMH, les médecins travaillaient en moyenne 8,9 demi-journées par semaine en 2014. Dix ans plus tard, en 2024, la moyenne est descendue à 8,6. Cela représente néanmoins un équivalent temps plein d’environ 50 heures hebdomadaires, un chiffre toujours élevé.
Dans les cabinets médicaux, la moyenne est de 7,9 demi-journées, soit 1,5 de moins que dans les hôpitaux (9,4). Les femmes travaillent en moyenne 7,6 demi-journées, contre 9,0 pour les hommes.
Conséquence de cette évolution: aujourd’hui, 41% des médecins exerçant en Suisse ont obtenu leur diplôme à l’étranger, contre 31% en 2014. La Suisse se situe donc largement au-dessus de la moyenne de l’OCDE, qui est de 19%.

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