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Faculté de médecine de l’Université de Genève (UNIGE) poursuit le déploiement d’une «réforme ambitieuse de l’enseignement médical», baptisée
ENSI 23-27. Ce projet d'envergure vise à repenser la formation des futurs médecins, dans un contexte marqué par l’évolution rapide des pratiques de soins, l’irruption de l’intelligence artificielle (IA) et une réflexion sur le sens même de la profession.
«Cette démarche est née d’un constat partagé tant par les étudiants que par les enseignants», souligne l’UNIGE dans son
communiqué. Une journée de réflexion commune, réunissant étudiants, professionnels et enseignants, a été organisée l’an dernier afin d’identifier les priorités.
Parmi les principaux axes d’amélioration évoqués: renforcer la continuité entre le bachelor et le master, mieux former à la démarche scientifique et redonner du sens à la profession médicale.
Réformer les méthodes pédagogiques
Côté méthodes, la Faculté fait évoluer son approche. L’apprentissage par problèmes (APP), longtemps au cœur de la pédagogie genevoise, laisse progressivement place au Case-Based Collaborative Learning (CBCL) – méthode développée en parternariat avec l’Université d’Harvard. Dans ce dispositif, les étudiants préparent à l’avance les cas cliniques qu’ils discuteront ensuite en groupe. Objectif: encourager une préparation active et des échanges plus riches, mais aussi limiter les effets pervers de l’usage de l’IA, en obligeant chacun à comprendre et justifier son raisonnement devant ses pairs. Après une phase pilote en 2024, la méthode a été déployée à la rentrée 2025.
La question des formats d’apprentissage a aussi suscité des débats. Le streaming des cours «a cristallisé une certaine tension», souligne Mathieu Nendaz, vice-doyen en charge de l’enseignement pré-gradué et de l’identité professionnelle: «certains enseignants y voyaient un manque de respect lié à l'absence physique, ou une méconnaissance de la logique d’enseignement, tandis que les étudiants revendiquaient une approche pragmatique de flexibilité de leur travail et de leur temps d'étude.»
Former à l'évaluation critique
Intelligence artificielle, accès massif à l'information, mais pas toujours de qualité... autant de défis auxquels préparer les étudiants en médecine. La Faculté entend ainsi renforcer l'enseignement de la démarche scientifique «de manière plus explicitement longitudinale» et accompagner les étudiants dans le développement de leur esprit critique afin de les amener à mieux vérifier et évaluer les informations.
«Plus largement, l’IA s’est insérée dans tous les aspects de la formation médicale: pour enseigner, pour évaluer, pour apprendre», explique l'UNIGE: «Il est maintenant indispensable de se saisir du sujet pour mieux encadrer son usage et accompagner la formation».
«Une réflexion plus mûre sur l'orientation»
En parallèles, plusieurs projets sont développés autour de la construction d'une identité professionnelle. Les stages d'aide-soignants sont de retour et doivent être réalisés à la fin du bachelor: ils sont vus comme une opportunité d'aider à la réflexion sur l'orientation professionnelle et comme un facilitateur pour le passage en master clinique. Ces stages ont été mis en place dès la rentrée cette année.
En outre, la Faculté de médecine propose des ateliers thématiques, notamment «la gestion de l'erreur médicale, l’accompagnement des malades chroniques, ou encore le découragement professionnel», autant de problématiques tirées de la pratique, mais qui restent encore très peu abordés lors des études.
Le étudiants sont par ailleurs invités à se tourner vers les nouvelles offres de mentorat entre étudiants et de coaching par les enseignants.
Former à la supervision en milieu clinique
Un autre volet du projet concerne la formation à la supervision en milieu clinique. De nombreux professionnels hospitaliers ne maîtrisent pas toujours le contenu du curriculum ou les objectifs d’apprentissage des étudiants. L’UNIGE a donc lancé un programme spécifique, couvrant divers services hospitaliers, afin d’améliorer la qualité de l’encadrement.
En parralèle, la Faculté s'intéresse à la manière de valoriser l'enseignement et de mieux informer sur les trajectoires professionnelles académiques.
Impact au niveau fédéral
L'UNIGE entend également être force de proposition au niveau fédéral. Mandatée par Swissuniversities, elle participe à une réflexion sur les modalités de sélection et les parcours de la première année de médecine, sujet central pour toutes les facultés suisses.
Enfin, un protocole de recherche accompagne la mise en œuvre du programme ENSI 23-27 afin d'en évaluer les effets. «Nous avons élaboré un protocole de recherche général qui complète les approches propres aux différentes parties de la réforme afin de construire un socle de connaissance sur ce que nous mettons en place», conclut Mathieu Nendaz. Une manière de veiller à ce que la médecine de demain, à Genève comme ailleurs, forme des praticiens compétents, critiques et conscients des défis humains et technologiques de leur métier.