«Dans le quotidien hospitalier, il ne reste souvent que peu de temps pour les victimes de violence»

En tant qu'infirmière médico-légale, Dominice Häni accompagne les victimes de violence, documente les blessures et préserve les traces.

, 3 novembre 2025 à 15:31
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Dominice Häni | Image: Capture d'écran/SRF
Dans l’agitation de la vie hospitalière, il reste parfois bien peu de temps pour s’occuper des victimes de violence. C’est là que vous intervenez, en tant qu’infirmière médico-légale. À quoi ressemble votre quotidien?
Nous collaborons étroitement avec les hôpitaux, les services ambulatoires et les groupes de protection de l’enfance. Les personnes concernées, tout comme les professionnels, peuvent nous joindre 24 heures sur 24 au 0800. Lorsqu’un hôpital nous contacte, je clarifie d’abord la situation, puis je me rends sur place pour rencontrer la personne dans un espace protégé. Elle a alors la possibilité de raconter, dans le calme, ce qui s’est passé, et nous discutons ensemble du soutien possible.
Comment procédez-vous lors d’un examen?
Lors d’un examen, nous nous basons avant tout sur les besoins de la personne concernée. Nous examinons attentivement la peau, les blessures et les ecchymoses, puis nous les documentons par des photographies. De nombreuses traces disparaissent en effet après quelques heures ou quelques jours, c’est pourquoi il est si important de les enregistrer rapidement. Les examens génitaux sont toujours effectués par un ou une gynécologue, au besoin en présence de l’infirmière légiste.
Qu’advient-il des traces prélevées?
Dans le canton de Zurich, les échantillons sont désormais conservés pendant quinze ans à l’Institut de médecine légale. Les personnes concernées disposent ainsi de temps pour réfléchir à un éventuel dépôt de plainte pénale. Si nécessaire, nous les mettons en contact avec des centres de conseil aux victimes, car un suivi structuré est essentiel.
Quand la police intervient-elle?
Dans le cadre du projet «Service de proximité Forensic Nurses», la police n’intervient souvent qu’à un stade ultérieur. Si la personne concernée décide par la suite de porter plainte, la police ou le parquet compétent peuvent demander le rapport des infirmières médico-légales.
«De nombreuses traces disparaissent en effet après quelques heures ou quelques jours, c’est pourquoi il est si important de les enregistrer rapidement.»
Souvent, les victimes ne parlent pas de ce qu'elles ont vécu. Quels sont les indices qui peuvent indiquer au personnel hospitalier qu'une personne subit des violences?
Pour le personnel hospitalier, c’est souvent un grand défi. De nombreuses personnes concernées ont honte et tentent de minimiser leurs blessures – par exemple en affirmant, en cas d’hématomes visibles, qu’elles sont tombées dans les escaliers. Souvent, il ne s’agit que de petits indices subtils: elles évitent le contact visuel, semblent nerveuses ou tendues, et leurs blessures se trouvent à des endroits inhabituels. Un repli sur soi, une prudence excessive ou des descriptions contradictoires peuvent également indiquer qu’une personne subit des violences.
En tant qu'infirmière médico-légale, vous êtes confrontée à des destins humains particulièrement difficiles. Comment parvenez-vous à y faire face?
Dans le métier de soignant, on est souvent confronté à des situations difficiles et éprouvantes. Mais c’est justement ce qui fait la particularité de notre travail: on apprend à apprécier la vie dans toute sa fragilité. Je sais que tout peut s’arrêter très vite. Quand je me réveille le matin et que tout le monde autour de moi est en bonne santé, cela me remplit de gratitude.
Vous êtes vous-même mère – et vous êtes souvent appelée à intervenir à l'Hôpital pédiatrique de Zurich. Que ressent-on lors de telles interventions?
La violence envers les enfants est toujours un sujet lourd. D’un autre côté, ce travail me donne la possibilité d’agir concrètement pour faire bouger les choses. Certains cas me touchent profondément, me mettent en colère ou me laissent impuissante. Dans ces moments-là, les échanges au sein de l’équipe sont un grand soutien. Avec le temps, on développe toutefois une certaine résistance.
«L’année dernière, nous sommes intervenus plus de 200 fois dans des hôpitaux et avons également assuré le suivi de 170 appels téléphoniques.»
Y a-t-il un cas qui vous a particulièrement marquée?
Il m’est difficile d’en citer un en particulier. Mais ce qui me bouleverse toujours, c’est la récurrence des cas de jeunes victimes de violences sexuelles lors de soi-disant «rendez-vous» arrangés sur les réseaux sociaux. Je trouve particulièrement inquiétant de voir à quel point de nombreux parents abordent ces questions avec désinvolture. J’ai souvent l’impression qu’ils ne mesurent pas les risques auxquels leurs enfants sont exposés. Je ne comprends pas non plus pourquoi certains publient des photos de leurs enfants sur les réseaux sociaux; cela me préoccupe beaucoup.
Qu'est-ce qui vous a personnellement amenée à vous orienter vers les soins médico-légaux?
Je travaillais aux urgences gynécologiques et étais régulièrement en contact avec des femmes ayant subi des violences sexuelles ou domestiques. Nous étions souvent débordés et manquions de ressources pour les prendre correctement en charge. J’ai alors suivi une formation continue: le CAS d’infirmière légiste.
Le service de Forensic Nurses à Zurich est actuellement un projet pilote jusqu'en 2026. Que souhaitez-vous au niveau politique?
Il serait souhaitable que ce service soit pérennisé. L’année dernière, nous sommes intervenus plus de 200 fois dans des hôpitaux et avons répondu à 170 appels téléphoniques. Ce service permet d’améliorer de manière décisive la prise en charge des victimes de violences sexuelles et domestiques.
Parallèlement, il est essentiel de poursuivre la sensibilisation et la formation dans les hôpitaux et établissements de santé, et d’assurer un suivi structuré et durable des victimes.
Où voyez-vous un besoin d'action supplémentaire?
Un domaine souvent négligé concerne la violence envers les personnes âgées. Les proches ou le personnel soignant, souvent surmenés, remarquent trop tard la maltraitance physique ou psychologique. Ces personnes ne se rendent généralement pas aux urgences – là aussi, un changement de mentalité est nécessaire.

  • En Suisse, une femme sur cinq a déjà subi des violences sexuelles ou domestiques – mais seule la moitié en parle. La Suisse a signé en 2018 la Convention d’Istanbul du Conseil de l’Europe, qui vise à protéger et soutenir les victimes. Dans le plan d’action national, la Confédération s’engage notamment à garantir une prise en charge médico-légale adéquate des victimes de violences sexuelles. Le projet «Aufsuchender Dienst Forensic Nurses» est l'une des mesures prises dans le cadre de la Convention d'Istanbul.

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