À l’évocation du terme «paralysie», la perte d’autonomie motrice vient souvent en premier lieu à l’esprit. Pourtant, nombreuses sont les conséquences invisibles, tout aussi invalidantes: hypotension sévère, malaises lors de la verticalisation, difficultés à réguler la pression artérielle, voire dysréflexie autonome – une élévation incontrôlée et potentiellement mortelle de la pression artérielle. Près de 80% des personnes vivant avec une lésion de la moelle épinière sont touchées par des troubles de régulation de la pression artérielle.
Les personnes touchées peuvent ainsi éprouver des difficultés à maintenir la posture du tronc, même assises dans leur fauteuil. Certains exercices de rééducation deviennent plus complexes, voire impossibles, en raison des malaises engendrés. Quant aux mesures conservatrices, elles ne permettent pas de traiter efficacement ces complications.
Un implant pour changer la donne
Une équipe internationale pilotée depuis la Suisse annonce aujourd’hui une avancée majeure pour aider les personnes vivant avec une lésion médullaire à réguler leur pression artérielle. Dans deux études récemment publiées dans
«Nature» et
«Nature Medicine», les chercheurs détaillent l’ampleur du phénomène et décrivent un système implantable capable de restaurer la stabilité hémodynamique après une lésion médullaire. Mis au point par le consortium NeuroRestore (EPFL et CHUV-UNIL) et la société ONWARD Medical, cet implant stimule électriquement la moelle épinière afin de réguler la pression artérielle de façon biomimétique.
Ces deux études majeures ont notamment été menées par Jocelyne Bloch (neurochirurgienne au CHUV et professeure à l’Université de Lausanne), Grégoire Courtine (professeur en neurosciences à l’EPFL) et Aaron Phillips (Université de Calgary).
La professeure Jocelyne Bloch, associée à la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne (CHUV-UNIL) et professeure titulaire à l’EPFL, dirige le Service de neurochirurgie du CHUV. À ses côtés, le neuroscientifique lausannois Grégoire Courtine est professeur à l’EPFL. Ensemble, ils pilotent
NeuroRestore, institut novateur situé au carrefour de la médecine et des sciences de l’ingénierie, fruit d’une synergie entre le CHUV-UNIL et l’EPFL.
Baptisé «ARC-IM», l’implant repose sur un réseau d’électrodes de nouvelle génération, connectées à un générateur d’impulsions similaire à un pacemaker. Placées sur le «hotspot hémodynamique» de la moelle épinière, ces électrodes activent les neurones sympathiques préganglionnaires impliqués dans la modulation de la pression artérielle. On parle ainsi de stimulation électrique épidurale biomimétique (EES) de la moelle épinière.
Une amélioration immédiate
À ce jour, 14 patient(e)s ont participé à l’étude clinique et ont été implanté(e)s sur trois sites: Suisse, Canada et Pays-Bas. Les résultats sont prometteurs: on constate une hausse immédiate de la pression artérielle à un niveau normal dès l’enclenchement du stimulateur.
«J’ai immédiatement senti une sorte de regain d’énergie parcourir mon corps.» —Julie, participante à l'étude, implantée en 2022
Quant à la dysautonomie, elle diminue fortement avec cette approche. «Chez les modèles animaux, elle disparaît complètement», souligne Grégoire Courtine lors d’une conférence de presse.
Julie, participante à l’étude atteinte de troubles sévères de la pression artérielle à la suite d’une lésion médullaire, raconte la toute première activation du stimulateur: «En temps normal, ma tension artérielle ressemblait à une ligne plate sur le moniteur, sans grande variation… Et puis, lorsque l’ingénieur a activé le stimulateur, elle est remontée en flèche pour atteindre un niveau normal. J’ai immédiatement senti une sorte de regain d’énergie parcourir mon corps. J’ai senti l’oxygène circuler à nouveau dans mon cerveau. C’était comme un réveil après un très long sommeil.»
«J'ai retrouvé ma vie»
Quant à savoir si ces effets perdurent, l'étude constate une réduction durable des complications hypotensives: plus besoin de traitements conservateurs et une amélioration nette de la qualité de vie des patient(e)s implanté(e)s. Citée dans un communiqué du CHUV, Jocelyne Bloch explique que l’impact de cette thérapie «dépasse le seul cadre de la santé physique: en stabilisant la pression artérielle, elle améliore la clarté cognitive, le niveau d’énergie, l’humeur et l’autonomie – des aspects essentiels de la vie quotidienne souvent altérés après une lésion de la moelle épinière».
Depuis son implantation en 2022 à Lausanne, Julie explique ainsi avoir «retrouvé sa vie», elle poursuit notamment une thèse en archéologie et voyage à l’étranger pour ses recherches.
Daniel, 76 ans, tétraplégique depuis un accident de ski à 28 ans et participant à l’étude, revient également sur son parcours. Avant l’implantation, il souffrait notamment de graves chutes de tension en conduisant – elles ont depuis complètement disparu. Il active son dispositif quand il en ressent le besoin et a même pu reprendre le ski.
De son côté, Nuno, un autre participant, tétraplégique, raconte l’impact des troubles de tension sur son quotidien professionnel et familial. Ancien chirurgien, il a pu reprendre une activité de consultant en médecine et participe activement à la vie de sa famille depuis l’implantation.
Et après?
Suite à ces résultats, une étude pivot sera menée dans une vingtaine de centres de recherche de pointe en neuroréadaptation et en neurochirurgie, situés aux États-Unis, au Canada et en Europe. Le premier patient sera implanté dans quelques semaines.
L’objectif des chercheurs et ingénieurs est clair: permettre une adoption clinique élargie auprès de toutes les personnes atteintes d'une lésion médullaire et vivant avec de tels troubles.
Pourrait-on un jour envisager d'élargir la population cible? Interrogés lors d'une conférence de presse, Bloch et Courtine rappellent toutefois que cet implant ne sera pas efficace face à certaines causes d'hypotension, telles que les complications liées au diabète.
«New implant restores blood pressure balance after spinal cord injury» – EPFL Neuro X Institute
Les publications originales
- Soriano, J.E., Hudelle, R., Mahe, L. et al. «A neuronal architecture underlying autonomic dysreflexia», dans «Nature», septembre 2025. https://doi.org/10.1038/s41586-025-09487-w
- Phillips, A.A., Gandhi, A.P., Hankov, N. et al. «An implantable system to restore hemodynamic stability after spinal cord injury», dans «Nature Medicine», septembre 2025. https://doi.org/10.1038/s41591-025-03614-w