La médecine pédiatrique en Suisse se trouve à un tournant. Les hôpitaux offrent déjà une multitude de consultations dans différentes spécialités sous un même toit, presque «porte à porte». Les parents y voient un avantage indéniable: leur enfant peut recevoir une prise en charge complète lors d’un seul rendez-vous. Cette efficacité et cette qualité de soins élevées n’ont guère d’équivalent dans le secteur des cabinets médicaux. Pourtant, derrière ce modèle performant se cachent des défis structurels importants.
Avec l'introduction du financement uniforme des prestations ambulatoires et hospitalières (Efas), nombreux sont ceux qui espèrent un grand bouleversement. Efas est considéré comme un jalon majeur, mais est-il vraiment suffisant à lui seul? Les spécialistes restent sceptiques.
Les auteurs
Marc-André Giger est président du conseil d'administration de l'Hôpital pédiatrique universitaire des deux Bâle. Malte Frenzel est pédiatre et directeur d'AllKidS, l'Alliance des hôpitaux pédiatriques suisses.
«Sans tarifs couvrant les coûts, en particulier les tarifs ambulatoires, Efas n'aura pas l'effet escompté, ni pour les adultes ni pour les enfants», affirme-t-on dans les cercles dirigeants de la pédiatrie. Il devient en effet de plus en plus urgent de rémunérer correctement les prestations ambulatoires, qui constituent depuis longtemps l'épine dorsale de la pédiatrie moderne.
Jungle tarifaire et incitations erronées
Les tarifs des assurances complémentaires constituent un autre problème majeur. La question se pose toujours: l'ambulantisation des traitements stationnaires des assurés semi-privés et privés peut-elle se faire sans ouvrir pleinement le domaine ambulatoire aux assurances complémentaires? La réponse est claire: non. Le tarif est fixé par la LAMal de manière uniforme et aucun supplément ne peut être demandé pour un traitement ambulatoire, sous peine d’illégalité et de violation de la protection tarifaire dont bénéficient les assurés.
Les systèmes d'incitation actuels favorisent les traitements stationnaires, au détriment des objectifs politiques visant à renforcer l’ambulatoire.
Médecine hautement spécialisée et nombre minimal de cas
Un coup d'œil à la médecine hautement spécialisée (MHS) met en lumière une autre forme d'incitation erronée. Jusqu'à présent, seules les prestations hautement spécialisées fournies en milieu hospitalier sont pleinement prises en compte dans le calcul des nombres minimaux de cas – les interventions ambulatoires, en revanche, ne sont souvent pas comptabilisées.
Cela signifie qu'un hôpital actif, par exemple dans la «cardiologie et chirurgie cardiaque congénitale et pédiatrique invasive», doit justifier d'un certain nombre de cas pour conserver ou prolonger son statut. S'il réalise toutefois davantage d'interventions en ambulatoire, le nombre de cas nécessaires pourrait faire défaut – ce qui pourrait entraîner la perte de son statut MHS.
Dans ces conditions, le virage ambulatoire, pourtant essentiel, se trouve freiné.
Qu'est-ce qui doit changer? Les principales revendications
Les hôpitaux et les sociétés médicales ont une vision claire de la manière dont la situation peut être améliorée:
- Réduire le déficit de l'ambulatoire: le déficit financier des hôpitaux pédiatriques dans le domaine ambulatoire doit être progressivement comblé. De grands espoirs reposent sur l'introduction des nouveaux tarifs médicaux – Tardoc et forfaits ambulatoires – afin de garantir une rémunération adéquate.
- Reconnaître le travail de coordination: coordonner le traitement est aujourd'hui un véritable défi, surtout pour les enfants présentant plusieurs pathologies. Diagnostics et thérapies doivent être réunis et coordonnés entre les différents prestataires. Or, cette prestation de coordination n’est représentée dans aucun tarif : une lacune qu’il convient de combler d’urgence.
- Développer les structures de manière intelligente: en matière de coordination, l'objectif n'est pas de créer de nouveaux prestataires, mais de modifier judicieusement les structures existantes pour les adapter aux défis.
- Un véritable financement solidaire: l'Efas doit déboucher sur une répartition solidaire des charges, avec une meilleure collaboration entre cantons et assureurs et une moindre dépendance aux subventions ou aux dons.
- Considérer l'efficacité de manière différenciée: l'efficacité opérationnelle relève des hôpitaux, mais l'efficacité du système – l’interaction entre tous les acteurs – doit être évaluée dans sa globalité et sur le long terme.
Opportunités systémiques
Aujourd'hui déjà, la médecine pédiatrique est nettement plus orientée vers les soins ambulatoires que la médecine adulte. Les progrès médico-techniques, la numérisation et la cybersanté offrent de nombreuses opportunités pour soutenir cette tendance et rendre les soins encore plus adaptés aux enfants. Mais les structures tarifaires et le manque de reconnaissance des prestations ambulatoires hautement spécialisées freinent cette évolution.
À une époque où les ressources sont rares et les exigences élevées, il devient d'autant plus essentiel d'éliminer les mauvaises incitations et de fixer les bonnes conditions-cadres. Ce n'est qu'à cette condition que la réforme pourra atteindre son véritable objectif: assurer une prise en charge médicale optimale des enfants et des adolescents en Suisse.
Conclusion: des réformes avec une vision à long terme – ou du rafistolage?
L'introduction d'Efas est un pas dans la bonne direction, mais ce n'est qu'un premier pas. Sans révision fondamentale des tarifs, meilleure valorisation de la coordination et prise en compte équitable des prestations ambulatoires de pointe, certains problèmes risquent de ne pas être résolus. Les responsables doivent maintenant avoir le courage de voir plus loin, dans l'intérêt des enfants et de la société.
Une pédiatrie porteuse d'avenir ne nécessite pas seulement des réformes, mais aussi la volonté de briser les vieux schémas de pensée et d’emprunter de nouvelles voies.