Antibiorésistance: des capteurs pour détecter les super-germes

Pour mieux cibler les traitements et gagner du temps face aux infections dues à des bactéries résistantes aux antibiotiques, des chercheurs suisses développent de nouveaux capteurs capables d’identifier rapidement les agents pathogènes les plus dangereux.

, 2 avril 2025 à 02:00
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Les laboratoires de l'Empa développent des capteurs de résistance aux antibiotiques dont les colorants réagissent à certaines bactéries. | Image: Empa
La propagation mondiale des germes résistants aux antibiotiques pousse les soins médicaux à leurs limites. Selon les estimations, le nombre de décès dus à des bactéries multirésistantes pourrait, d’ici 2028, atteindre un niveau comparable à celui d’avant la découverte de la pénicilline – il y a environ 100 ans.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) met en garde contre une «pandémie silencieuse» dont les coûts se chiffrent en milliards.
L’une des principales raisons: les antibiotiques sont souvent administrés avant qu’un agent pathogène n’ait été clairement identifié. Comme les diagnostics classiques prennent du temps, les résultats de laboratoire sont souvent négligés en situation d’urgence, ce qui augmente le risque de traitements inefficaces et favorise l’émergence de nouvelles résistances.
Pour y remédier, les chercheurs de l’Empa développent de nouveaux procédés de diagnostic en collaboration avec des partenaires cliniques. Grâce à des capteurs innovants, il deviendrait alors possible de détecter plus rapidement les agents pathogènes résistants – ce qui permettra de mettre en place des thérapies individuelles efficaces dès les premiers stades de l’infection, indique un communiqué.
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Illustration: Empa

Super-germe

Les bactéries multirésistantes sont particulièrement fréquentes dans le cadre des infections nosocomiales, comme les pneumonies. L’un des agents pathogènes les plus redoutés est Klebsiella pneumoniae, un super-germe difficile à combattre. Pour le détecter à temps, Giorgia Giovannini, chercheuse à l’Empa au laboratoire «Biomimetic Membranes and Textiles», développe en collaboration avec l’hôpital cantonal de Saint-Gall un nouveau type de capteur émettant une lumière fluorescente en cas d’infection.
Ce capteur réagit à l’uréase, une enzyme produite par Klebsiella pneumoniae. Dès que l’uréase dégrade un polymère spécifique, la fluorescence du colorant devient visible – un signal révélateur de la présence du germe.
Cette méthode repose sur des échantillons simples, comme un frottis de gorge ou une expectoration, et pourrait réduire le temps d’identification à quelques heures, contre plusieurs jours pour une culture bactérienne traditionnelle.

Diagnostic rapide

Les plaies infectées constituent également l’une des portes d’entrée les plus fréquentes pour les agents pathogènes résistants aux antibiotiques. Pour les détecter précocement, une équipe dirigée par Luciano Boesel et Giorgia Giovannini, en partenariat avec l’hôpital cantonal de Saint-Gall, conçoit un pansement multi-capteurs d’un genre nouveau. Cette technologie repose sur des nanoparticules de silice intégrées dans un hydrogel robuste, composé de polymères biocompatibles. Le capteur, intégré au pansement, réagit à des excrétions spécifiques de bactéries.
Les germes de plaie hautement résistants, comme le staphylocoque doré, sont particulièrement redoutables. Cette bactérie produit une enzyme, la bêta-lactamase, qui neutralise certains antibiotiques.
Le capteur contient des colorants dégradés par cette enzyme: en présence du germe, le pansement s’illumine sous lumière UV – un signal d’alerte clair. Il peut également détecter des variations du pH de la plaie, fournissant ainsi des indices supplémentaires sur une potentielle infection. L’objectif : permettre un diagnostic rapide et peu coûteux, directement au chevet du patient, pour un traitement adapté à chaque situation.
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La bactérie Pseudomonas aeruginosa est résistante à de nombreux antibiotiques et peut provoquer de graves pneumonies, des infections urinaires, voire une septicémie. En présence d'une infection bactérienne, la rapidité et la précision avec lesquelles le germe est identifié sont déterminantes pour la survie des personnes infectées. Image: Empa

Infections des voies urinaires

Les infections des voies urinaires, souvent liées à l’utilisation de cathéters à l’hôpital, représentent une autre voie d’entrée pour les germes résistants, notamment Pseudomonas aeruginosa, une bactérie en bâtonnet difficile à éliminer. Une équipe de l’Empa et de l’ETH Zurich a mis au point un procédé permettant d’identifier rapidement et précisément cet agent pathogène.
Ce système utilise des nanoparticules magnétiques munies d’éléments protéiques capables de se lier spécifiquement à Pseudomonas aeruginosa. Une fois les bactéries isolées à l’aide d’un champ magnétique, les chercheurs testent leur sensibilité aux antibiotiques grâce à une méthode de chimioluminescence: si l’échantillon s’illumine, cela signifie que les bactéries sont résistantes ; s’il reste sombre, l’antibiotique est efficace.
«En tout et pour tout, le test de résistance dure environ 30 minutes – contre plusieurs jours pour une culture bactérienne classique», explique Qun Ren, chef de groupe au laboratoire «Biointerfaces» de l’Empa à Saint-Gall. Cela permet de déterminer rapidement le traitement adéquat et de réduire le risque d’apparition de nouvelles résistances.
Le pansement signale la présence de germes dans les plaies

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