«Voilà les chiffres. Que peut-on faire pour améliorer la situation?»

L’Association des Médecins d’Institutions de Genève (AMIG) a récemment publié les résultats d’une enquête menée aux HUG. Son coprésident André Juillerat revient sur les raisons de cette initiative, les enseignements à en tirer et les suites qu’elle pourrait entraîner.

, 24 juillet 2025 à 07:38
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Image: Vladimir Fedotov / Unsplash
L'Association des Médecins d’Institutions de Genève (AMIG) a récemment mené une enquête interne aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et recueilli les témoignages de plus d’une centaine de médecins. Le constat est préoccupant: burn-out, pression hiérarchique ou encore difficulté à déclarer ses heures supplémentaires. Les résultats dressent un tableau aussi alarmant qu’interpellant.
Entretien avec André Juillerat, coprésident de l’AMIG et chef de clinique en médecine interne générale aux HUG.
Pourquoi avoir lancé cette enquête et dans quel cadre?
L’idée nous est venue après avoir entendu de nombreux collègues se plaindre de leur situation. Nous avons donc lancé une campagne d’affichage comportant un QR code renvoyant à un formulaire. Les affiches ont été placées dans différents bâtiments des HUG – dans les bureaux des médecins et les ascenseurs du personnel, mais pas dans les espaces publics – et l’institution en a été informée. Notre vision reste toutefois partielle, notamment parce que certaines spécialités ne sont pas représentées et en raison de la taille réduite de l’échantillon récolté.
L’Association des Médecins d’Institutions de Genève (AMIG), fondée en 1962, est l’une des seize sections cantonales de l’Association suisse des médecins-assistant·e·s et chef·fe·s de clinique (ASMAC). Composée de médecins internes, de chef·fe·s de clinique, d’une secrétaire et d’un avocat, son équipe s’engage activement pour l’amélioration de la qualité de vie et des conditions de travail, pour la promotion d’une formation médicale de qualité, ou encore pour la défense juridique et administrative de ses membres en cas de litige. L'association compte aujourd'hui plus de 1'000 membres.
Elle est actuellement co-présidée par André Juillerat, chef de clinique en médecine interne générale aux HUG, et Bastien Barcellini, médecin interne en gynécologie-obstétrique dans le même établissement.
Nous souhaitions voir si nous captions un signal, quel qu'il soit. Nous ne nous attendions ni à recevoir autant de réponses, ni à ce qu’elles soient aussi alarmantes. Notre objectif premier était de faire parler de nous, de voir si les gens réagissent, et de réfléchir à la pertinence d’une campagne plus large. La représentativité des résultats est bien sûr discutable, en raison du périmètre limité de l’enquête. Néanmoins, ces premiers retours confortent notre volonté de lancer une enquête plus vaste, qui serait menée plus largement auprès des médecins.
Comment définiriez-vous la posture de votre association dans cette initiative?
Notre démarche n’est évidemment pas conflictuelle: il s’agit simplement d’établir un constat et dire: «voici les chiffres; s’ils sont avérés, que peut-on mettre en place pour améliorer la situation?»
«Nous souhaitions voir si nous captions un signal, quel qu'il soit. Nous ne nous attendions ni à recevoir autant de réponses, ni à ce qu’elles soient aussi alarmantes.»
L’idée n’est pas de dénoncer publiquement des situations dont nous ne pouvons pas prouver la véracité. On observe d’ailleurs que certains répondants évoquent avoir vécu des expériences similaires dans d’autres hôpitaux. Le problème ne semble donc pas limité à Genève. Il s’inscrit dans un mouvement plus large: d’autres études se penchent sur le burn-out chez les médecins, chez les étudiants en médecine, ou sur les abandons de la profession. Dans cette continuité, nous voulions documenter la situation vécue actuellement par les médecins des HUG.
En quoi votre enquête diffère-t-elle de celles déjà réalisées par l’institution?
Les HUG diffusent parfois des enquêtes de satisfaction, mais elles s’adressent à l’ensemble du personnel: cuisiniers, brancardiers, tous les corps de métier. Je ne pense pas qu’on puisse comparer et agréger ces résultats de manière pertinente.
«Les HUG diffusent parfois des enquêtes de satisfaction, mais elles s’adressent à l’ensemble du personnel. Je ne pense pas qu’on puisse comparer et agréger ces résultats de manière pertinente.»
Notre approche cible des questions spécifiques aux problématiques que rencontrent les médecins. Ce sont des réalités que nous avons vécues ou observées, et nous voulions savoir si elles étaient isolées ou systémiques. Le constat – à prendre avec précaution, bien sûr – est qu’elles semblent systémiques.
Ces problématiques ne relèvent-elles pas aussi d’une culture de travail propre à la médecine – divergences des attentes entre générations et lente démocratisation de certaines pratiques, notamment celles d’une réduction du temps de travail?
Tout à fait. Le changement générationnel est déjà en cours, et les résultats de l’enquête en témoignent. L’institution souhaite également faire évoluer cette culture, mais la mise en place de nouveaux processus prend du temps. En tant qu’association, nous regrettons que les choses ne progressent pas assez rapidement.
«Certains médecins ne se sentent pas légitimes pour déclarer leurs heures, à cause de la pression hiérarchique. Cela va à l’encontre du droit.»
Au-delà des aspects culturels, certains éléments relèvent simplement du droit du travail. Il est légitime de se demander si ce droit est pleinement adapté à la réalité de la profession médicale. Il existe toutefois des ordonnances spécifiques à notre corps de métier. Or certains éléments, comme la déclaration des heures supplémentaires – qui est pourtant une obligation légale inscrite dans les règlements – posent toujours problème. Certains médecins ne se sentent pas légitimes pour déclarer leurs heures, à cause de la pression hiérarchique. Cela va à l’encontre du droit.
Quelle forme prend cette pression?
Plusieurs médecins nous ont confié: «Je ne déclare jamais mes heures, car je suis obligé de mettre mon chef en copie, et après je suis convoqué.» D’autres ont été effectivement convoqués après avoir déclaré des heures supplémentaires. On leur a dit: «Tu débutes, c’est normal que tu sois plus lent, tu ne peux pas déclarer ces heures.» Ce n’est pas acceptable.
Qu’est-ce qui pourrait contribuer à améliorer cette situation?
Nous aimerions que la direction des ressources humaines envoie un e-mail à tous les médecins, indiquant clairement: «Vous êtes encouragés à déclarer vos heures supplémentaires.» Nous avions discuté de ce point concrètement lors d’une réunion avec Monsieur Maudet et la DRH des HUG. Malgré nos relances, rien n’a été fait en ce sens. Pourtant, cela permettrait aussi d’évaluer les effectifs nécessaires au bon fonctionnement de l’hôpital.
«Plusieurs médecins nous ont confié: Je ne déclare jamais mes heures, car je suis obligé de mettre mon chef en copie, et après je suis convoqué.»
Le jour où un médecin souhaitant déclarer ses heures est intimidé par un supérieur, il pourra rappeler que «cette directive vient d’au-dessus». Ce que nous regrettons, c’est qu’en raison de la lenteur des processus, des problèmes urgents sur le terrain ne soient pas traités avec la réactivité nécessaire.
En outre, un groupe de travail de l’AMIG a permis l’élaboration d’un cahier de revendications à partir des retours de l’enquête. Ce document est accessible publiquement. Il reflète les points que nos collègues considèrent comme encore perfectibles.
Le Cahier de revendications 2025, élaboré par l’AMIG, est le fruit de plusieurs mois de travail collaboratif mené par un groupe de travail au sein du comité. Nourri par les retours de terrain des membres de l'association – notamment à travers les enquêtes internes menées aux HUG – ce document identifie les grands axes de préoccupation: conditions de travail, rémunération et reconnaissance, qualité de la formation postgraduée, respect du droit du travail et des temps de repos, ainsi que gouvernance institutionnelle.
À travers ce cahier, l’AMIG formule des revendications concrètes autour d’un objectif central: «disposer d'un outil structuré pour dialoguer avec nos interlocuteurs institutionnels, tout en renforçant la transparence et la mobilisation autour des réalités vécues par nos collègues» (site web de l’AMIG).
Quelles sont vos relations avec les HUG? Avez-vous des échanges réguliers?
Oui, tout à fait. Nous avons des réunions régulières, notamment dans le cadre d’une «commission paritaire». Une rencontre aura prochainement lieu avec la nouvelle direction des RH et DM, afin d’échanger sur les grands axes d’amélioration. L’enquête pourra alors appuyer certains constats et permettre d’identifier les leviers institutionnels à mobiliser.
L’institution vous semble-t-elle suffisamment sensible à ces problématiques?
Je pense qu’elle l’est, mais qu’elle est aussi confrontée à des enjeux qui dépassent le cadre de notre passage dans l’institution. Ce que nous déplorons, c’est que certaines solutions simples – comme l’envoi d’un e-mail encourageant la déclaration des heures supplémentaires – ne soient pas mises en œuvre.
«Ce que nous déplorons, c’est que certaines solutions simples – comme l’envoi d’un e-mail encourageant la déclaration des heures supplémentaires – ne soient pas mises en œuvre.»
L’objectif de l’enquête est précisément de mettre en lumière la réalité du terrain, les préoccupations et les priorités des médecins. Reste à voir si l’institution prendra ces problèmes à bras-le-corps. Elle peut aussi répondre: «Ce n’est pas notre priorité.» Mais nous espérons qu’elle en tiendra compte pour agir.
Les revendications des médecins sont-elles suffisamment visibles?
Les autres corps de métier impliqués dans la prise en charge des patients semblent parfois mieux structurés syndicalement. Peut-être sommes-nous aussi en partie responsables de ne pas avoir été assez véhéments: nous avons toujours privilégié le dialogue. Par le passé, les médecins genevois ont mené une «grève des crayons», refusant de signer les lettres jusqu’à obtenir la durée contractuelle qui leur était due. Ce mouvement avait été initié par l’AMIG.
Aujourd’hui, nous devrions peut-être affirmer davantage notre volonté de nous syndiquer. La publication de ces chiffres s’inscrit sans doute dans cette logique plus déterminée, plus ouverte et plus revendicative.
Quels sont les enseignements à tirer pour une future enquête?
Avec le recul, au vu des résultats, nous regrettons de ne pas avoir procédé dès le départ à un envoi par e-mail à l’ensemble des médecins. C’est probablement ce que nous ferons dans une seconde phase – peut-être en collaboration avec l’institution.
Il est cependant important de souligner qu’on ne répond pas forcément de la même manière à une enquête institutionnelle qu’à une enquête syndicale. Le ton est souvent plus direct, plus véhément avec un syndicat. Cela offre deux regards complémentaires, mais distincts.
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