Sevrage des antidépresseurs: la recherche en question

Michael Hengartner, expert en psychologie clinique à Zurich, critique deux méta-analyses sur les symptômes de sevrage des antidépresseurs: les risques seraient sous-estimés, le choix des termes minimiserait leur gravité et la pratique de prescription ne serait pas scientifiquement défendable.

, 30 juillet 2025 à 13:30
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Image symbolique: Unsplash
De nombreux patients présentent des symptômes tels que somnolence, vertiges, nausées ou agitation intérieure lorsqu’ils réduisent ou arrêtent leur traitement antidépresseur.
Deux méta-analyses récemment publiées – l'une en Allemagne («The Lancet Psychiatry», juillet 2024), l'autre au Royaume-Uni («JAMA Psychiatry», juillet 2025) – estiment la fréquence de ces symptômes à 31% (ou 15% après déduction des effets nocebo).
Mais quelle est la pertinence de ces études? Le Science Media Center Germany a sollicité l’avis de plusieurs experts. Pour Michael Hengartner, professeur de psychologie clinique à la Haute école spécialisée Kalaidos de Zurich et coauteur d’une nouvelle analyse de la méta-étude allemande, le débat dépasse largement les chiffres il touche à des questions fondamentales de la pratique clinique.

«Mauvaises données, mauvaises conclusions»

Hengartner critique notamment la méthodologie des deux méta-analyses très médiatisées. Celles-ci s’appuient presque exclusivement sur des études à court terme, avec des durées de traitement inférieures à trois mois, alors que les données disponibles montrent que les symptômes de sevrage apparaissent surtout après une prise prolongée (soit au-delà de six mois). Autre écueil méthodologique: la détection des symptômes de sevrage reposait principalement sur des auto-évaluations spontanées ou sur des indicateurs peu fiables, comme le taux d’événements indésirables graves.
«Si l’on évalue principalement des études biaisées et peu significatives, les estimations méta-analytiques seront elles aussi biaisées et peu significatives. Ou, pour le dire plus crûment: si l’on rassemble principalement des données sans valeur, on obtient des résultats sans valeur.» — Michael Hengartner
Dans une nouvelle analyse, Hengartner aboutit à un taux d’incidence nettement plus élevé: 55%, si l’on ne prend en compte que les études méthodologiquement solides, qui ont systématiquement mesuré les symptômes de sevrage à l’aide d’un instrument de mesure approprié.

Peu de bénéfices en cas de dépression légère

Hengartner ne critique pas uniquement la méthodologie, mais aussi la pratique de prescription. Malgré des recommandations claires, les antidépresseurs seraient encore largement prescrits, même dans des cas de dépression légère, alors que leur efficacité y est faible – avec en outre un risque non négligeable d’effets secondaires et de symptômes de sevrage.
«Dans les cas de dépression modérée à sévère, les antidépresseurs ont en moyenne une faible efficacité. Plus la dépression est grave, plus leur efficacité est grande», explique Hengartner. À long terme, la psychothérapie serait même plus efficace que les antidépresseurs. Bien que les directives thérapeutiques reflètent assez bien cet état des connaissances, la réalité de la pratique clinique s’en éloigne: «La majorité des antidépresseurs prescrits le sont à une population de patients pour laquelle leur efficacité est discutable.»

Symptômes de «sevrage» plutôt que de «discontinuation»

La terminologie utilisée pour décrire le syndrome étudié est elle aussi critiquée. «Il est cohérent et correct d'utiliser le terme de symptômes de sevrage», souligne Hengartner. La dépendance physique est une conséquence bien documentée de la prise continue de substances agissant sur le système nerveux central, telles que les antidépresseurs. Des études par tomographie à émission de positons (PET) ont montré qu’après seulement quelques semaines de traitement, on observe des modifications contre-régulatrices du système sérotoninergique, comme une diminution des récepteurs.
Il est toutefois essentiel de ne pas confondre cette forme de dépendance avec l'addiction: «Les antidépresseurs provoquent une dépendance physique, mais pas un comportement addictif», explique Hengartner. Le terme «symptômes de discontinuation» a été introduit de manière délibérée par l’industrie pharmaceutique à la fin des années 1990, dans le but d’atténuer la connotation négative des symptômes de sevrage.

En résumé: plus de recherche, plus d’honnêteté

Hengartner appelle à davantage d’études à long terme, à une évaluation plus rigoureuse lors des prescriptions, ainsi qu’à une information transparente sur les symptômes possibles de sevrage. Il ne s’agit pas de rejeter les antidépresseurs en bloc, mais de viser la précision, la clarté et la reconnaissance sincère des réalités vécues par les patients.
Les propos du professeur Hengartner ont été recueillis lors d’une discussion d’experts organisée par le Science Media Center Germany. D’autres spécialistes – dont le professeur Tom Bschor, le professeur Jörg Meerpohl et le docteur Jonathan Henssler – ont également pris position sur ce sujet, exposant parfois des avis divergents quant à la méthodologie, à la terminologie ou à la portée clinique des données.
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