Les infections par le virus de la grippe A et le SARS-CoV-2 pourraient réactiver des cellules cancéreuses «dormantes» dans les poumons. C'est ce que montrent des chercheurs du Colorado dans une étude menée sur des souris et publiée dans la revue «Nature».
Infections virales et métastases pulmonaires
Les animaux ont été génétiquement modifiés afin de développer un cancer du sein HER2+, dont les cellules se sont propagées dans les poumons, où elles sont restées inactives pendant un an. Après une infection virale, la charge métastatique a augmenté de 100 à 1'000 fois en quelques jours, sous l’effet de l’hormone inflammatoire interleukine-6 (IL-6) et d’une modification de l’activité des lymphocytes T auxiliaires. Ces derniers ont créé un environnement immunosuppresseur en inhibant les cellules tueuses qui, autrement, auraient éliminé les cellules tumorales.
«Les résultats présentés sont innovants et potentiellement très pertinents sur le plan clinique », commente le professeur Andreas Bergthaler de l’Université de médecine de Vienne dans le Science Media Center. « Bien que cette possibilité ait déjà été évoquée auparavant, les auteurs de l’étude actuelle démontrent un lien de causalité à travers plusieurs approches.»
Le professeur Carsten Watzl, de l’Institut Leibniz pour la recherche sur le travail, souligne également: «Ce qui est nouveau et intéressant ici, c’est que les infections respiratoires aiguës peuvent entraîner la formation de métastases en raison de la réaction inflammatoire qui les accompagne.» Il note toutefois que l’étude ne montre pas si les souris meurent plus tôt ou plus fréquemment de métastases. De plus, l’effet était nettement plus prononcé après une infection grippale qu’après une infection par le SARS-CoV-2, ce qui pourrait également être lié au modèle animal utilisé.
Indications épidémiologiques chez l'être humain
Afin de vérifier la pertinence des données issues de l’expérimentation animale pour l’être humain, les chercheurs ont également analysé des données de santé provenant de la UK Biobank et d’un registre américain sur le cancer du sein. Les patientes présentant une infection documentée au SARS-CoV-2 présentaient un risque accru de métastases pulmonaires. Cependant, après ajustement pour tenir compte des comorbidités, cette association n’était plus significative. Les auteurs en déduisent que la COVID-19 pourrait augmenter le risque de métastases chez les patients atteints de cancer, et que les mécanismes mis en évidence chez la souris pourraient jouer un rôle dans ce phénomène.
«Certains éléments indiquent que les résultats obtenus pourraient être pertinents pour l’être humain», explique Bergthaler. Les voies de signalisation de l’IL-6 sont en effet hautement conservées entre la souris et l’homme. Dans le même temps, «la validité et la robustesse de ces données restent à confirmer, notamment en ce qui concerne les périodes sélectionnées, les différents facteurs susceptibles d’influencer les résultats, l’ampleur des effets et d’autres éléments».
Le professeur André Karch, épidémiologiste à la clinique universitaire de Münster, se montre plus critique. Il met en garde contre des biais potentiels et le risque de causalité inversée : les infections pourraient être davantage une conséquence d’une activité tumorale non détectée que leur cause. «À mon avis, les analyses épidémiologiques présentées dans la publication ne permettent pas, pour les raisons évoquées, de tirer les conclusions avancées par les auteurs.»