Alors que la physiothérapie à domicile prend une place croissante dans le système de santé, une équipe de recherche suisse a mené une enquête d’envergure nationale pour mieux comprendre le quotidien et les besoins des professionnels du secteur.
La professeure Lara de Preux-Allet, directrice de la Haute École de Santé Valais-Wallis et responsable de l’unité «Réadaptation physique inclusive» au Sense, a dirigé cette étude en collaboration avec Chloé Schorderet (doctorante) et Lauriane Rime (étudiante à la maîtrise). Leur objectif: combler un vide de données en Suisse et apporter un éclairage sur les réalités de terrain.
Un questionnaire anonyme en ligne, diffusé entre décembre 2023 et mars 2024 via 16 associations cantonales et régionales de Physioswiss et de l’Association suisse des physiothérapeutes indépendants, a permis de récolter les réponses de 439 professionnels. Tous pratiquent au moins trois interventions à domicile par semaine et disposent d’au moins une année d’expérience dans ce domaine. Leur profil se distingue par une longue carrière, avec 23,5 ans d’expérience en moyenne. Parmi les répondants, 17,2% exercent exclusivement à domicile, tandis que la majorité partage son activité entre le cabinet, les EMS et les interventions à domicile.
À noter cependant: si la Suisse romande est représentée à hauteur de 36,9% et la Suisse alémanique à 62%, la part tessinoise reste très faible (1,1%).
Des obstacles concrets
Si la majorité des répondants se disent globalement satisfaits de leur pratique – notamment grâce à l’autonomie qu’elle offre et au bénéfice direct pour les patients –, ils n’en pointent pas moins des défis importants:
- Une ergonomie souvent précaire des lieux d’intervention, qui peut compliquer les gestes thérapeutiques.
- Un accès limité aux informations médicales: moins d’un professionnel sur deux (47,8%) dispose des données essentielles (diagnostics, contre-indications, etc.) au moment d’entamer la prise en charge. Certains doivent les réclamer eux-mêmes ou compter sur les proches aidants. À cela s’ajoute une très faible utilisation du dossier électronique du patient (DEP).
- Des difficultés logistiques: embouteillages, places de stationnement manquantes, accès aux logements, coordination avec d’autres intervenants du domicile – autant de contraintes chronophages citées par les professionnels. Certains soulignent aussi les retards dans la validation des garanties de paiement ou la lourdeur des échanges avec les assurances.
- Une rémunération jugée inadéquate: les déplacements, les tâches administratives ou encore la coordination interprofessionnelle ne sont pas suffisamment pris en compte dans la tarification actuelle. Plusieurs voix appellent à l’instauration d’indemnités spécifiques, notamment pour les interventions en institution spécialisée ou en zones rurales.
Difficultés rencontrées dans la pratique | Source: étude citée
- L’échange de bonnes pratiques entre collègues reste largement informel: seul 10,9% des répondants indiquent participer à un réseau structuré de physiothérapeutes à domicile dans leur canton ou région.
- Enfin, la relève semble encore peu intégrée à cette pratique spécifique: seuls 17 répondants encadrent des étudiants dans leur activité à domicile. Par ailleurs, un tiers des professionnels s’estiment incertains quant à la préparation des jeunes diplômés à ce type de prise en charge.
Recommendations
L'étude met en lumière plusieurs pistes d’amélioration pour renforcer l'efficacité et la reconnaissance de la physiothérapie à domicile:
- Améliorer l’accès aux dossiers médicaux,
- Structurer les réseaux interprofessionnels,
- Favoriser la digitalisation,
- Adapter la tarification pour intégrer les réalités de terrain: déplacements, temps de coordination, tâches administratives.
Identification des besoins des professionnels | Source: étude citée
Le contexte est clair: le vieillissement de la population, la montée des maladies chroniques et le développement des politiques de maintien à domicile mènent à un accroissement de la demande en soins à domicile. En effet, la patientèle décrite dans l'étude est majoritairement composée de personnes de plus de 80 ans, souvent atteintes de troubles liés à l'âge, neurologiques ou d'affections musculo-squelettiques.
Face à ces enjeux, cette recherche apporte un éclairage spécifique sur les pratiques, les contraintes et les attentes des physiothérapeutes intervenant à domicile.