Neurotechnologie: un expert de l’EPFL appelle à protéger notre intimité mentale

Les interfaces cerveau-machine offrent des perspectives médicales inédites. Mais, sans cadre clair, elles pourraient menacer gravement la vie privée mentale. Des normes internationales s’imposent pour prévenir tout abus et éviter la formation de monopoles.

, 11 août 2025 à 14:19
image
Les données neuronales donnent un aperçu des pensées, des souvenirs, des intentions et des sentiments. Image symbolique: Unsplash.
Les neurotechnologies telles que les interfaces cerveau-ordinateur (Brain-Computer-Interface), les systèmes bioélectroniques ou les appareils EEG portables sont susceptibles d'aider des millions de personnes atteintes de paralysie, de dépression ou de la maladie de Parkinson. Cependant, elles présentent des risques éthiques et juridiques considérables, en particulier pour la vie privée mentale, selon un communiqué de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Du produit thérapeutique au grand public

Alors que les implants cérébraux sont aujourd'hui utilisés exclusivement à des fins médicales, les entreprises intègrent progressivement des mini-EEG non invasifs dans des écouteurs, des bracelets connectés ou des casques de gaming. Cette technologie permet de saisir les états cognitifs et les préférences «directement à la source de la donnée», dit Marcello Ienca, expert en neuroéthique à l'Université technique de Munich.
« Nous vivons dans un monde où le cerveau humain est l’avoir le plus intéressant. Il est la base du modèle économique des réseaux sociaux et de l’e-commerce», Marcello Ienca, Hybrid Minds Project, EPFL.
L'ancien directeur du projet Hybrid Minds de l'EPFL considère la protection des données neuronales comme un droit humain fondamental. En effet, celles-ci révèlent nos pensées, nos émotions et nos intentions. Si elles tombent entre de mauvaises mains, elles pourraient être utilisées à des fins de manipulation: «Leur seul but est de connaître les préférences psychologiques des consommateurs et consommatrices pour les influencer, exploiter leurs vulnérabilités et les garder captifs.»
Selon Ienca, l'industrie du divertissement pourrait servir de «cheval de Troie» pour diffuser massivement les neurotechnologies, par exemple à travers les «neurogames», dans lesquels les avatars sont contrôlés par la pensée.

Poser un cadre réglementaire

Afin d'éviter les abus, Ienca propose des normes internationales et ce qu'il appelle des «Neurorights», un concept de protection qui fait jusqu'à présent défaut dans les documents existants relatifs aux droits de l'homme. Outre les initiatives du Conseil de l'Europe et de l'UNESCO, les premières lois nationales ont vu le jour, notamment au Colorado et en Californie, qui protègent les données neuronales de la même manière que l'ADN ou les données biométriques.
L'Europe pourrait assumer un rôle de leader dans ce domaine, selon Ienca: «Il est essentiel de trouver un juste équilibre entre l’absence de régulation, prônée par certains acteurs comme Elon Musk, et une surréglementation qui risquerait d’étouffer l’innovation.»
Communiqué de l'EPFL

  • EPFL
  • cybersanté & IA
  • Neurotechnologie
Partager l'article

Loading

Commentaire

Plus d'informations sur ce sujet

image

Moins de politique régionale, plus de tech: repenser l’hôpital

Avec une étude menée par PwC, H+ esquisse un système hospitalier affranchi des réflexes territoriaux et des traditions organisationnelles. À la clé: une transformation numérique profonde et des régions de soins repensées.

image

Systèmes de santé et IA: sommes-nous vraiment prêts?

Alors que l’intelligence artificielle s'immisce dans les systèmes de santé, un rapport de l’OMS met en garde: sans formation adaptée et cadre juridique clair, les pays européens risquent de développer une dépendance «aveugle» à ces outils.

image

Epic continue de gagner du terrain en Suisse et atteint le canton de Vaud

Le système d’information clinique américain franchit une nouvelle étape en Suisse: il a été choisi pour équiper le CHUV et onze hôpitaux régionaux.

image

EPFL: stimuler le cerveau pour améliorer la vision après un AVC

Agir sur les oscillations cérébrales aide à restaurer une partie du champ visuel – une stratégie thérapeutique innovante pour les personnes atteintes d’hémianopsie.

image

Pharmacothérapie: ChatGPT échoue à répondre à des questions complexes

Une étude de l'Université de médecine de Hanovre s'est intéressée à la qualité des recommandations pharmacologiques de ChatGPT. Conclusion: le chatbot commet deux fois plus d'erreurs que les médecins.

image

Système d'information: feu vert du Tribunal fédéral pour l'appel d'offres des hôpitaux vaudois

Le CHUV et onze autres établissements représentés par la Fédération des hôpitaux vaudois informatique peuvent relancer leur appel d'offres pour un système d'information clinique commun – sans en modifier les exigences.

Du même auteur

image

Septième cas mondial de rémission du VIH après une greffe de cellules souches

Un sexagénaire est considéré guéri du VIH. Selon des scientifiques berlinois, son cas est d’autant plus remarquable que les cellules souches transplantées n’étaient pas résistantes au virus.

image

Épilepsie et mort subite: «Une révolution culturelle s'impose»

Philippe Ryvlin, neurologue au CHUV, a identifié deux nouveaux facteurs de risque majeurs du décès soudain d’une personne atteinte d'épilepsie sans cause apparente. Interview.

image

Embouteillage pour l'obtention d'un titre: l'ISFM réduit les frais de moitié avec effet rétroactif

Suite aux interventions de plusieurs associations, l’ISFM réagit en réduisant temporairement de moitié les frais d’obtention d’un titre, avec effet rétroactif. Cette concession ne marque toutefois pas la fin du problème, bien au contraire.