L'hôpital public va mal: plusieurs ministres français poursuivis

Infirmiers, médecins, familles endeuillées: ils sont 19 à accuser l’État français. Leur plainte vise plusieurs membres du gouvernement, tenus pour responsables d’un système à l’agonie, où la souffrance peut conduire jusqu’au suicide.

, 14 avril 2025 à 14:32
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Image: Mulyadi/Unsplash
Alors que les hôpitaux français traversent une crise profonde, marquée par une recrudescence de suicides et des dénonciations croissantes sur la dégradation des conditions de travail, une plainte d’une rare portée vient d’être déposée devant la Cour de justice de la République française. Elle cible directement plusieurs membres du gouvernement: Catherine Vautrin, ministre de la Santé, Élisabeth Borne, ministre de l’Enseignement supérieur, et Yannick Neuder, ministre délégué à la Santé et à l’Accès aux soins, révèlent «Le Monde» et «France Inter».
La plainte, portée par 19 plaignants – professionnels de santé (infirmiers, cadres hospitaliers, professeurs d’université praticiens hospitaliers) et proches de victimes –, s’appuie sur des chefs d’accusation graves: «harcèlement moral, homicides involontaires, violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, et mise en danger de la personne».
Suicides, épuisement professionnel, harcèlement, rythmes insoutenables, conditions de travail jugées mortifères: la liste des griefs est longue et alarmante. Pour les plaignants, l’heure est venue de rompre le silence, de briser l’omerta et d’interpeller la justice.

Le poids des politiques publiques néolibérales

Le préambule de la plainte ne ménage pas ses mots: «L’hôpital connaît une crise majeure depuis de nombreuses années, une crise qui s’est intensifiée à partir de 2012–2013, sous l’effet de politiques publiques néolibérales. Malgré des signaux d’alerte particulièrement préoccupants, dont plusieurs suicides, aucune inflexion n’a été opérée – bien au contraire.» Et d’insister: «Les alertes, qu’elles soient individuelles ou systémiques, sont restées lettre morte.»
Maître Christelle Mazza, avocate des plaignants, dénonce au micro de «Radio France» une politique centralisée des ressources humaines qui s’articule, selon elle, autour de trois piliers: «une désorganisation institutionnelle chronique – illustrée par la multiplication des réformes –, des pressions croissantes sur les personnels et une instrumentalisation de leur sens du devoir, le tout sous contrainte budgétaire permanente». Elle pointe aussi les séquelles durables de la crise du Covid-19, qui n’ont cessé d’aggraver la situation sur le terrain.

Une plainte structurée pour créer un précédent

L’avocate a fait le choix de rassembler ces différents dossiers en une plainte unifiée, dans l’espoir de faire jurisprudence. Elle s’appuie notamment sur le précédent France Télécom, qui avait conduit à la condamnation de dirigeants pour harcèlement moral institutionnel. «Cette jurisprudence doit s’appliquer aux ministres comme à tout chef d’entreprise, au nom de l’égalité devant la loi, surtout face à de telles atteintes à l’intégrité des personnes», affirme-t-elle à l’AFP. Et de conclure: «Un dirigeant d’entreprise ayant orchestré de telles politiques de restructuration, avec de telles conséquences humaines, aurait déjà été condamné – et son entreprise, fermée.»
La Commission des requêtes de la Cour de justice de la République doit désormais se prononcer sur l’ouverture d’une instruction. Sa décision est attendue à l’automne.
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