Les médecins hospitaliers veulent travailler moins... mais ne le font pas

Près de deux tiers des médecins hospitaliers aspirent à réduire leur temps de travail, révèle une nouvelle enquête. Mais les plannings et les logiques de carrière restent conçus pour le plein temps, tandis que la disponibilité demeure un critère de compétence.

, 19 août 2025 à 23:25
dernière mise à jour le 23 octobre 2025 à 07:43
image
Image-symbolique réalisée par IA: Medinside avec Midjourney.
La durée du travail des médecins hospitaliers reste un sujet de débat récurrent. D’un côté, l’on semble reconnaître à tous les niveaux hiérarchiques que l’époque des charges permanentes et des marathons de travail touche à sa fin. De l’autre, les pratiques évoluent peu: de nombreux médecins continuent de dépasser régulièrement les normes légales. Pourquoi un tel décalage?
Une enquête récemment publiée dans «Swiss Medical Weekly» apporte des éléments de réponse. Une équipe de la Haute école spécialisée du Nord-Ouest de la Suisse a interrogé 553 médecins dans sept hôpitaux publics et réalisé des entretiens qualitatifs avec 19 d’entre eux.
  • Barbara Jarmila Germann, Julia Frey, Alain Soltermann, Janna Kuellenberg: «“A good physician works full-time?” – a mixed-methods study on (mis)conceptions about part-time work in hospitals», in: «Swiss Medical Weekly», Août 2025.
  • DOI: 10.57187/s.4205
Selon l’étude, plus de 60% des médecins aimeraient réduire leur temps de travail, et une proportion similaire estime qu’ils pourraient le faire. Pourtant, la majorité reste employée à 90–100%.
Dans le détail, près des deux tiers (61,5%) souhaiteraient descendre entre 60 et 90%. Le taux d’occupation idéal moyen ressort à 81% – l’équivalent d’une journée de congé hebdomadaire – ce qui demeure supérieur aux modèles de temps partiel «classiques» (50–60%).
Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les plus jeunes qui expriment le plus grand désir de réduction: les médecins assistants de moins de 30 ans fixent leur taux idéal à 88% en moyenne. Les praticiens de 41 à 50 ans, souvent en pleine vie familiale, affichent la plus forte demande (76%). Les plus de 51 ans remontent à 82,5%.

Le poids de l'ancienne écôle

Cette dynamique s’explique aisément: les jeunes en formation doivent traiter de nombreux cas et effectuer des rotations, ce qui rend le temps partiel peu compatible. Entre 40 et 50 ans, la charge familiale se superpose aux responsabilités professionnelles.
À cela s’ajoute une crainte liée à la carrière. Près de 60% des répondants estiment qu’un poste à temps partiel réduit les perspectives de promotion.
Les entretiens confirment la persistance du modèle traditionnel: le «bon médecin» reste perçu comme totalement disponible et prêt à des sacrifices personnels.
«Je n'ai jamais vu d'exemple encourageant de personne ayant travaillé à temps partiel avec des enfants et qui aurait malgré tout réussi à se spécialiser», cite l'étude. «Ce que j'ai vu, en revanche, ce sont des personnes occupant des postes de direction qui travaillent à temps plein et qui ont fait de grands sacrifices personnels pour y parvenir.»

Les freins organisationnels

Les médecins redoutent aussi que la baisse du taux d’occupation alourdisse la charge de leurs collègues: près de trois quarts des répondants partagent cette inquiétude.
L’argument d’une éventuelle dégradation de la qualité des soins est moins répandu: 82,5% le rejettent, sauf dans certaines spécialités comme la cardiologie ou la chirurgie, et surtout parmi les cadres supérieurs.
Tant que la disponibilité sera considérée comme un critère de compétence médicale, le temps partiel restera un risque pour la carrière.
Enfin, les contraintes organisationnelles constituent un frein majeur. Les plannings, les évaluations ou encore les formations sont souvent conçus pour des temps pleins. Les médecins souhaitant réduire leur charge doivent donc composer avec des structures rigides et peu adaptées.
Les auteurs concluent que la réduction effective du temps de travail ne pourra s’imposer qu’avec un profond changement culturel: tant que la disponibilité restera associée à la compétence médicale, le temps partiel sera perçu comme un frein.
En outre, les structures devraient être adaptées – par exemple via les plans de service et de formation continue – de manière à ce que des taux d'occupation de 80 ou 60% soient réalistes. Les solutions devraient être adaptées spécifiquement aux cliniques, aux spécialités et aux postes – un «one size fits all» n'est guère praticable.
  • monde du travail
  • Temps de travail
  • Temps partiel
  • Recherche
Partager l'article

Loading

Commentaire

Plus d'informations sur ce sujet

image

Diriger, soigner, inspirer: la SSMIG veut accompagner les futurs chefs de clinique

Entre management, coordination d'équipe et exigences cliniques, les chefs de clinique endossent un rôle résolument transversal. Pour accompagner cette transition décisive, la Société suisse de médecine interne générale présente un nouveau guide pratique.

image

Une étiquette intelligente pour sécuriser le transport des médicaments

Une équipe de l'Empa, de l'EPFL et du CSEM a développé une étiquette-capteur biodégradable capable de mesurer en temps réel la température et l'humidité – une innovation qui pourrait améliorer le suivi du transport de produits tels que les médicaments.

image

Les smartwatches rendraient les médecins plus résistants

Une récente étude livre des résultats surprenants: les médecins qui suivent leurs données de santé grâce à une montre connectée voient leur risque de burnout diminuer et leur résilience se renforcer.

image

Médecins en devenir: quand les vocations naissent au chevet des patients

Quel est l’élément le plus décisif dans les choix de carrière des étudiants en médecine? D'après une récente étude menée en Suisse, ce n'est ni le revenu, ni le mode de vie, mais bien l’attrait qu’une spécialité développe au fil de la formation.

image

Épilepsie et mort subite: «Une révolution culturelle s'impose»

Philippe Ryvlin, neurologue au CHUV, a identifié deux nouveaux facteurs de risque majeurs du décès soudain d’une personne atteinte d'épilepsie sans cause apparente. Interview.

image

Des postes de médecins vacants pendant près de deux mois

Grâce à un nouvel outil d’analyse, l’Obsan met en lumière plusieurs évolutions marquantes du corps médical: le nombre de postes vacants est en augmentation et plus de 30% des cabinets de médecine générale refusent de nouveaux patients.

Du même auteur

image

Comment les hôpitaux tessinois comptent transférer 1’300 cas stationnaires vers l’ambulatoire

L’Ente Ospedaliero Cantonale teste, en collaboration avec la centrale d’achat HSK, un nouveau modèle tarifaire destiné à encourager le transfert d’un nombre significatif d’interventions du secteur stationnaire vers le secteur ambulatoire.

image

Tertianum reprend Senevita

Union de géants dans les soins de longue durée et le logement pour personnes âgées: les deux plus grands prestataires de Suisse fusionnent, donnant naissance à un groupe fort d’environ 11'000 employés.

image

Urgences: pourquoi l'idée d'une taxe ne convainc pas – et ce qu'en disent les spécialistes

Alors que doivent débuter les débats au Conseil national, les médecins urgentistes mettent à nouveau en garde contre l'idée d'une «taxe pour les cas bénins». Ils proposent quatre alternatives concrètes.