Les EMS face à la pandémie: protéger sans isoler?

Interruption des visites, tests insuffisants, manque de matériel… Les EMS genevois ont été en première ligne face à la pandémie. Une étude analyse les stratégies mises en place et questionne l’efficacité des mesures les plus strictes.

, 12 mars 2025 à 14:17
image
Image: Eduardo Soares / Unsplash
Lors de la pandémie de coronavirus, les établissements médico-sociaux (EMS) suisses se sont retrouvés au cœur de la crise. Ces structures, qui accueillent des personnes parmi les plus vulnérables, sont devenues des foyers d'infection et des lieux témoins d'interventions non pharmaceutiques (INP). En Suisse, les EMS ont comptabilisé près de la moitié des décès liés au virus, témoignant ainsi de l'urgence de mettre en place des mesures de protection efficaces (pour en savoir plus).
  • Menon, L.K.; Wisniak, A.; Regard, S.; Stringhini, S.; Guessous, I.; Balavoine, J.-F.; Kherad, O.; The SEROCoV-WORK + Study Group. Non-Pharmaceutical Interventions on COVID-19 in Workers and Residents of Nursing Homes in Geneva: A Mixed Qualitative and Quantitative Study, dans Epidemiologia, mars 2025.
  • doi: 10.3390/epidemiologia6010014
Une étude menée par des chercheurs en santé publique et publiée récemment dans la revue «Epidemiologia» s’est intéressée de près à la manière dont les EMS genevois ont géré la situation. En combinant des approches qualitatives et quantitatives, les chercheurs ont tâché de comprendre non seulement quelles INP ont été mises en œuvre, mais aussi la manière dont elles ont été perçues et leur impact sur la propagation du virus.

Un défi de taille

Durant la première vague, les EMS genevois ont dû relever un défi majeur: comment protéger les résidents tout en maintenant leur qualité de vie? L’étude s’est penchée sur 12 établissements parmi les 25 éligibles, soit environ un cinquième des EMS du canton, tous soumis aux mêmes politiques sanitaires et aux mêmes normes socio-économiques.
Des entretiens semi-directifs menés avec des médecins et des directeurs d’établissement ont mis en lumière les différentes stratégies adoptées. Certains EMS ont instauré des interdictions strictes de visite et réduit les activités sociales, dans l’espoir de limiter les contacts et la transmission du virus. D’autres ont privilégié une approche plus modérée.
Peut-on en tirer une stratégie idéale, capable d’offrir une protection efficace sans nuire au bien-être des résidents?

Pas de solution universelle

Conclusion marquante de l’étude: aucune corrélation claire n’a pu être établie entre le degré de restriction des INP et l’incidence de la COVID-19 chez les résidents. Certains EMS ayant adopté des politiques strictes n’ont pas forcément affiché de meilleurs résultats en termes de limitation des infections que ceux ayant mis en place des restrictions plus modérées.
Parmi les problèmes majeurs identifiés, on retrouve l’absence de dépistage systématique du personnel – 41% des EMS ne disposaient d’aucun processus de dépistage formel. Or, des études antérieures suggèrent que le personnel soignant, notamment lorsqu’il travaille dans plusieurs établissements, constitue la principale source d’infection, bien au-delà résidents eux-mêmes.
Cette observation soulève une question clé: fallait-il renforcer les restrictions sur les résidents, ou aurait-il été plus pertinent de mettre en place des stratégies ciblant le personnel, comme des tests de dépistage réguliers?
Dans certains établissements français, le personnel a pris des mesures radicales en se confinant volontairement avec les résidents: une façon d'éviter toute contamination extérieure. Cette approche a porté ses fruits, avec des taux d’infection nettement inférieurs à ceux d’autres établissements (pour en savoir plus).

Manque d’équipements et impact psychologique

Au-delà du contrôle des infections, l’étude met en lumière une autre réalité: la pression sur les ressources et le personnel. Face à une pénurie d’équipements de protection individuelle, certains soignants ont dû porter le même masque chirurgical pendant des gardes de 12 heures, augmentant non seulement leur risque d’exposition, mais aussi leur stress et leur fatigue.
En parallèle, les restrictions de visite ont eu un impact émotionnel majeur sur les résidents et leurs proches. Si elles ont permis de limiter la transmission du virus, elles ont aussi accentué l’isolement social et ses effets psychologiques.
L’étude met en évidence l'équation complexe entre protection sanitaire et bien-être psychologique, soulignant la nécessité de stratégies nuancées et adaptables lors de futures crises sanitaires.

Quels enseignements en tirer?

L’expérience des EMS genevois illustre un dilemme universel: comment concilier contrôle des infections et qualité de vie en milieu de soins de longue durée? L’étude suggère qu’un dépistage plus rigoureux du personnel et une meilleure allocation des ressources pourraient être plus efficaces que des restrictions générales imposées aux résidents.
En conclusion, il n’existe pas de solution unique. Une approche rigide et uniforme semble bien loin d'être la réponse idéale – à l'inverse, une certaine flexibilité laissée aux EMS pourrait s'avérer précieuse.

  • soins
  • EMS
  • Covid
  • coronavirus
  • Pandémie
  • Canton de Genève
Partager l'article

Loading

Commentaire

Plus d'informations sur ce sujet

image

Genève: hôpitaux et assureurs valident la nouvelle liste hospitalière sans contestation

La nouvelle liste hospitalière entre en vigueur après un processus mené sans le moindre recours, une première en dix ans dans un domaine habituellement conflictuel.

image

AVASAD: Gérald Brandt nommé à la tête des ressources humaines

Gérald Brandt prendra en mars 2026 la direction des ressources humaines et de la formation de l’Association vaudoise d’aide et de soins à domicile, après sept années passées au Réseau hospitalier neuchâtelois.

image

Soins infirmiers: signal inquiétant outre-Atlantique

En retirant le terme «nursing» de la liste des diplômes supérieurs, Washington restreint l’accès aux aides financières et risque de mettre en péril l’évolution de la profession.

image

Soins: la pression financière relègue la pénurie de personnel au second plan

Selon le Baromètre CNO 2025, la pénurie de personnel ne domine plus les préoccupations des directeurs des soins: confrontés à une pression économique croissante, les Chief Nurse Officers réorientent désormais leurs priorités vers la maîtrise des coûts et l’efficacité opérationnelle.

image

«Utiliser le toucher dans la relation thérapeutique demande beaucoup de finesse»

Au CHUV, une consultation d’ostéopathie ambulatoire s’intègre désormais au parcours hospitalier. Pour Chantal Berna Renella du Centre de médecine intégrative et complémentaire, cette approche offre une manière supplémentaire d’accompagner la douleur chronique.

image

Budget 2026: les EMS vaudois dénoncent des coupes «disproportionnées»

Selon l'association faîtière Héviva, les mesures d'économie prévues par le Conseil d’État «mettent en péril la qualité de vie des résidents» – et risquent de plonger deux tiers des institutions dans le déficit.

Du même auteur

image

Médecins en devenir: quand les vocations naissent au chevet des patients

Quel est l’élément le plus décisif dans les choix de carrière des étudiants en médecine? D'après une récente étude menée en Suisse, ce n'est ni le revenu, ni le mode de vie, mais bien l’attrait qu’une spécialité développe au fil de la formation.

image

RHNe: vers un seul site de soins aigus stationnaires?

En 2017, les Neuchâtelois avaient choisi de maintenir deux sites de soins aigus. Aujourd’hui, le Réseau hospitalier envisage de concentrer l’activité stationnaire aiguë sur un seul site, relançant ainsi le débat sur l’avenir de l’hôpital.

image

Thierry Fumeaux, nouveau médecin cantonal vaudois

Spécialiste reconnu de la médecine intensive, Thierry Fumeaux occupera le poste de médecin cantonal vaudois dès avril 2026.