Impression 3D dans le corps: bientôt une réalité en chirurgie?
À l’Hôpital universitaire de Bâle, les implants imprimés en 3D font déjà partie du quotidien. Florian M. Thieringer explique comment l’IA et la bio-impression transforment la chirurgie – jusqu’à l’impression de tissus directement dans le corps.
L’avis d’un expert , 8 août 2025 à 00:00
Image: DR
Monsieur Thieringer, des tissus vivants imprimés en 3D, cela ressemble à de la science-fiction. Quelle est la part de réalité que représente déjà aujourd’hui la bio-impression?
Bien plus qu’on ne le pense. La bio-impression a réalisé d’importants progrès ces dernières années, notamment dans la fabrication de structures contenant des cellules, comme la peau, les os ou le cartilage. Dans les départements d’ingénierie biomédicale et de biomédecine, nous travaillons intensivement sur de nouvelles «bio-encres» et des techniques d’impression hybrides. Mon groupe de recherche se concentre sur les matériaux de support imprimés en 3D, par exemple pour le remplacement du cartilage ou des os.
L’impression 3D fait déjà partie du quotidien hospitalier. Comment est-elle utilisée concrètement?
Nous l’utilisons pour concevoir des modèles anatomiques, des guides chirurgicaux et, surtout, des implants spécifiques aux patients. Un moment fort a eu lieu en 2023, lorsque nous avons conçu, imprimé en 3D et implanté avec succès le premier implant individuel de voûte crânienne, directement à l’hôpital, au «point of care». C’était une première en Europe. En 2025, nous avons franchi une nouvelle étape avec le premier implant facial en PEEK, également spécifique au patient, que nous avons conçu et fabriqué en interne.
En quoi les implants personnalisés sont-ils supérieurs aux méthodes classiques?
Les implants standards doivent souvent être ajustés pendant l’opération, ce qui prend du temps, manque de précision et peut devenir complexe en cas d’anatomie particulière. Grâce à la planification numérique et à l’impression 3D, nous pouvons adapter les implants à la morphologie exacte du patient, au millimètre près. Résultat: des interventions plus courtes, moins de complications, et de meilleurs résultats, tant sur le plan fonctionnel qu’esthétique.
Florian M. Thieringer est médecin-chef de la Clinique de chirurgie buccale et maxillo-faciale à l’Hôpital universitaire de Bâle et professeur à l’Université de Bâle. Ce spécialiste doublement diplômé est un expert de la chirurgie faciale numérique et personnalisée, cofondateur du laboratoire d’impression 3D de Bâle et directeur du groupe de recherche Swiss MAM.
Il mène des recherches sur l’impression 3D en milieu hospitalier, l’intelligence artificielle, la planification virtuelle d’opérations et la chirurgie assistée par robot. Thieringer est également codirecteur du projet MIRACLE II, rédacteur en chef de CMTR Open et membre du conseil de fondation de l’AO.
Quelles sont les technologies utilisées dans vos travaux?
Nous combinons plusieurs technologies: la planification basée sur l’imagerie médicale, la segmentation assistée par l’IA, la conception automatisée, ainsi que l’impression de polymères haute performance – et prochainement de titane. Tout le processus est entièrement numérique.
Quel est le rôle de l’impression 3D dans la planification chirurgicale, au-delà des implants?
Les modèles 3D permettent de mieux planifier les interventions complexes – et même de les comprendre au sens propre. Pour les malformations cranio-faciales, les fractures ou les tumeurs, un modèle physique facilite grandement la préparation, y compris lors des discussions interdisciplinaires.
Nous fabriquons ces modèles directement dans le laboratoire 3D de notre clinique, à partir des données issues du scanner ou de l’IRM. Cela nous permet de planifier avec une grande précision les coupes, résections ou ostéotomies.
Revenons à la bio-impression: est-il réaliste d’imaginer imprimer un jour des organes entiers?
Le remplacement fonctionnel d’organes complexes comme le foie ou les reins reste un objectif à long terme. Mais pour des tissus plus «simples», comme le cartilage, l’os, les structures articulaires, la peau ou les muqueuses, des applications cliniques réalistes se dessinent déjà. C’est aussi très prometteur pour le développement de tests personnalisés de médicaments. À court terme, les usages concernent la médecine régénérative et la chirurgie reconstructive, notamment pour traiter des défauts complexes.
Une expérience spectaculaire a récemment fait sensation aux États-Unis: l’impression assistée par ultrasons directement dans le corps. Que pensez-vous de cette approche?
C’est une approche fascinante. Les procédés d’impression in situ – directement dans le corps – pourraient révolutionner les interventions mini-invasives. Notamment pour traiter des lésions profondes ou des zones difficiles d’accès, sans avoir recours à une opération classique.
Travaillez-vous également sur ce type de technologies à Bâle?
Oui, dans le cadre du projet MIRACLE II, financé par la Fondation Werner Siemens, nous développons avec des partenaires internationaux un système robotisé de bio-impression in situ, basé sur l’endoscopie. L’objectif est de pouvoir appliquer avec précision des biomatériaux directement dans le corps, par exemple après l’ablation d’un tissu dans la région frontale ou en cas de lésion cartilagineuse au niveau du genou ou de la mâchoire.
Nous sommes encore en phase préclinique, mais le potentiel est énorme, surtout si l’on imagine une combinaison entre diagnostic, thérapie et visualisation 3D peropératoire.
L’Hôpital universitaire de Bâle a implanté pour la première fois en août 2023 une voûte crânienne artificielle produite par impression 3D. Vidéo: YouTube, Unispital Basel