«On se demande soudain: suis-je là pour soigner des patients ou pour écrire des rapports?»

Confrontés dès leurs premières années de pratique à la lourdeur administrative et au manque de préparation, Massimo Barbagallo et Roman Sager ont décidé de réagir: ils ont lancé une plateforme d’échange de modules de texte.

L'avis d'un expert..., 1 septembre 2025 à 22:00
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Image symbolique: Unsplash
La surcharge de documentation dans le secteur de la santé n’est pas un phénomène nouveau. Cependant, on oublie souvent que les jeunes médecins sont très peu formés à la rédaction de rapports médicaux – alors même que cette tâche occupe une part considérable de leur quotidien.
C’est de ce constat qu’est né le projet d’entraide de deux médecins, Massimo Barbagallo et Roman Sager.
Monsieur Barbagallo, Monsieur Sager, quand vous êtes-vous dit pour la dernière fois: «C’est précisément pour cela que je suis devenu médecin»?
Massimo Barbagallo: Ce matin! Grâce à une anamnèse approfondie, à un examen clinique et à des examens complémentaires ciblés, nous avons enfin pu aider une patiente souffrant d’une longue maladie neurologique et soulager nettement ses symptômes. C’est exactement ce qui caractérise le métier de médecin.
Roman Sager: Pour être honnête, je ne me suis jamais posé la question ainsi. J’ai choisi la médecine parce que je voulais comprendre le fonctionnement du corps, l’origine des maladies et les moyens de les traiter ou de les prévenir. Être médecin est en quelque sorte le bonus qui découle de cet intérêt.
Quelle part de cet idéal persiste dans le travail quotidien – et combien de temps est en réalité consacré à l’administration?
Massimo Barbagallo: Certaines études montrent que, sur une journée de onze heures, les médecins assistants ne passent que deux à trois heures auprès des patients. Cela correspond à mon expérience. Ce déséquilibre nuit à la relation médecin-patient, alors que l’écoute et la présence sont essentielles.
Roman Sager: Exactement. C’est un paradoxe: nous devrions passer plus de temps avec nos patients, mais l’administration est devenue trop envahissante. Et pourtant, presque personne ne s’interroge sur la possibilité de simplifier la documentation.
Massimo Barbagallo Spécialiste en médecine interne générale Actuellement en formation pour la spécialisation en neurologie, il s’engage également dans la recherche sur les AVC. En parallèle, il est actif comme DJ.
Roman Sager Médecin assistant En formation pour devenir spécialiste, passionné de tennis et intéressé par l’informatique et les technologies.
Avez-vous l’impression que vos études vous ont préparés à cette réalité?
Roman Sager: Malheureusement, très peu. Pendant l’année de stage, j’ai découvert pour la première fois ce qu’était réellement le quotidien: beaucoup de temps devant l’ordinateur. La rédaction de rapports ou la communication avec les proches des patients ne font pratiquement pas partie du cursus.
Massimo Barbagallo: Je partage cet avis. Nous étions très bien formés sur le plan médical, mais pas du tout à la rédaction de rapports. Personne ne nous a appris à rédiger un bon compte rendu ou à sélectionner les informations pertinentes. Durant l’année pratique, nous avons dû apprendre seuls, par essais et erreurs, souvent au détriment de notre temps et de celui de nos chefs de clinique qui corrigeaient nos rapports. Pour beaucoup, c’était la première grande désillusion: on se demande soudain «Suis-je là pour soigner des patients ou pour écrire des rapports?»
«Berichtguru est un outil conçu par des médecins pour des médecins. Nous voulons montrer que nous pouvons agir nous-mêmes contre la bureaucratie.» — Massimo Barbagallo.
De nombreux étudiants envisagent de changer de voie. Cela vous a-t-il traversé l’esprit?
Massimo Barbagallo: Oui, l’idée d’un emploi plus structuré, avec la possibilité de travailler depuis chez soi, me revient régulièrement. Mais mon travail à l’hôpital est tellement passionnant et enrichissant que cette pensée s’efface vite.
Quelle est, selon vous, la plus grande contrainte du quotidien clinique?
Roman Sager: Pour moi, c’est clairement la documentation. Bien sûr, elle est nécessaire pour la sécurité des patients et sur le plan juridique. Mais 90% de ce que j’écris disparaît dans une base de données que personne ne lit. L’effort est disproportionné par rapport au bénéfice.
Massimo Barbagallo: À cela s’ajoute l’évolution des attentes des patients, renforcées par Dr. Google ou ChatGPT. Ces exigences se traduisent souvent par des courriers ou des e-mails, ce qui accroît la charge bureaucratique. Et après une longue journée de travail, la documentation prend encore des heures, ce qui est énergivore.
C’est de cette difficulté qu’est né votre projet. Pouvez-vous nous en dire plus?
Roman Sager: Massimo et moi avons eu la même idée dès l’année de stage. Nous avons réalisé à quel point la documentation était chronophage et à quel point nous étions mal préparés. Ce qui nous a frappés, c’est le nombre incroyable de redondances: un bilan cardiaque ou pulmonaire suit toujours une structure identique, seuls les résultats varient. Pas étonnant que des blocs de texte circulent entre collègues. Nous nous sommes alors dit: pourquoi ne pas les regrouper, les partager et les améliorer ensemble?
«90% de ce que j’écris disparaît dans une base de données que personne ne lit. L’effort est disproportionné par rapport au bénéfice.» — Roman Sager
Massimo Barbagallo: Je me souviens d’un cas: un patient victime d’AVC devait être transféré, mais le transfert a été retardé parce que l’interne n’avait pas encore rédigé le rapport. Ce genre de situation ne devrait pas exister. Nous nous sommes dit: «Cela doit pouvoir être fait bien plus efficacement!» D’où l’idée d’un outil favorisant l’entraide et la collaboration entre médecins.
Ainsi est donc né «Berichtguru». Concrètement, comment la plateforme aide-t-elle au quotidien?
Roman Sager: Nous avons mis en ligne une collection de modèles de texte en libre accès. Les utilisateurs peuvent s’inscrire, déposer leurs propres modèles, évaluer ceux des autres et les améliorer. Peu à peu, cela constitue une véritable bibliothèque: une boîte à outils partagée entre disciplines. Les débutants y trouvent un grand avantage, car ils n’oublient rien d’important et gagnent en assurance. Bien sûr, un copier-coller sans réflexion reste dangereux. Notre plateforme se veut un soutien, pas un substitut à la pensée médicale.
Massimo Barbagallo: Il était essentiel pour nous que la plateforme soit libre d’accès et nourrie par l’échange. «Berichtguru» est un outil conçu par des médecins pour des médecins. Nous voulons montrer que nous pouvons agir nous-mêmes contre la bureaucratie, et que des solutions pragmatiques peuvent émerger du terrain plutôt que d’attendre des réformes venues d’en haut.
  • La plateforme Berichteguru (en allemand)

  • formation
  • Bureaucratie
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