Philippe Ryvlin, l’étude REPO2MSE est l’une des très rares études prospectives sur la Mort subite inattendue en épilepsie (SUDEP). Qu’est-ce que ce type de suivi a permis d’observer que les études rétrospectives ne peuvent pas montrer?
Sur le plan méthodologique, l’étude prospective permet de réduire considérablement les biais liés au recueil rétrospectif d’informations, les données étant toutes recueillies sans savoir si le sujet sera ultérieurement la victime d’une SUDEP. Dans le cadre de REPO2MSE, nous avons pu collecter certaines données spécifiquement pour l'étude, telles que la saturation en oxygène lors des crises, à l’époque non disponibles dans les données cliniques de routine. Le résultat le plus important de l’étude discuté ci-après n’avait jamais pu être analysé préalablement dans les études rétrospectives.
Philippe Ryvlin est professeur ordinaire à l’Université de Lausanne et chef du Département des Neurosciences Cliniques du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), ainsi que professeur affilié à l’Université de Copenhague, depuis 2015.
Neurologue et spécialiste international de l’épilepsie, Philippe Ryvlin dirige la task force de la Ligue internationale contre l’épilepsie (ILAE) pour la prévention de la surmortalité dans l’épilepsie. Il dirige l’équipe de recherche
Neurodigital@Neurotech au CHUV, dont l’axe de recherche principal est la prévention des SUDEP. Auteur de près de 400 publications, il a reçu en 2015 le titre d’Ambassadeur de l’épilepsie.
Votre étude met en évidence un risque accru lorsque les crises débutent dans les régions périsylviennes ou frontales. Qu’est-ce qui distingue ces zones du cerveau et pourrait expliquer leur lien plus étroit avec la SUDEP?
Ces régions cérébrales pourraient exposer à un risque accru de SUDEP pour trois raisons: 1) elles sont plus souvent associées à la survenue de crises nocturnes et/ou de crises convulsives généralisées que d’autres régions telles que le lobe temporal, or tant la survenue de crises nocturnes que celle de crises convulsives généralisées augmentent le risque de SUDEP; 2) certaines de ces régions contrôlent le système autonome et donc les fonctions cardiorespiratoires, dont la compromission pendant la crise favorise probablement la survenue d’une SUDEP; 3) certaines de ces régions contrôlent également la motricité des voies aériennes supérieures et sont susceptibles, en cas de crise, de promouvoir une apnée obstructive contribuant au risque de SUDEP.
«Il y a lieu d’être plus vigilant et proactif dans la gestion du surpoids dans l’épilepsie.»
Le surpoids apparaît comme un facteur de risque important. Comment cette information devrait-elle être intégrée dans la prise en charge et les recommandations données aux patientes et patients?
Le surpoids favorise possiblement le risque de SUDEP en aggravant les risques d’étouffement si le patient se trouve en décubitus ventral en fin de crise. Par ailleurs, il peut favoriser d’autres types de morbidités et causes de mortalité, notamment cardiovasculaires. Enfin, le surpoids est plus marqué chez les personnes avec épilepsie en raison de possibilités réduites d’activités physiques chez certains patients et d’un effet oréxigène de certains médicaments anti-épileptiques. Il y a donc lieu d’être plus vigilant et proactif dans la gestion du surpoids dans l’épilepsie, notamment à l’ère des agonistes GLP-1.
Une baisse marquée de la saturation en oxygène pendant les crises n’est pas associée au risque de SUDEP, selon votre étude. Comment interprétez-vous cette absence de lien, alors que l’hypoxie était longtemps considérée comme un facteur possible?
Ce résultat négatif doit être interprété de manière prudente pour deux raisons: 1) le résultat négatif concerne l’hypoxémie associée aux crises focales, qui ne sont les plus pertinentes dans la mesure où les SUDEP sont en général la conséquence d’une crise convulsive généralisée; 2) nous avions trop peu de crises convulsives généralisées enregistrées avec une mesure d’hypoxémie pour étudier ce second paramètre.
Vous soulignez que la majorité des personnes décédées de SUDEP n’avaient jamais été informées de ce risque. Comment aborder ce sujet avec les personnes concernées et leurs familles?
C’est un sujet extrêmement important et qui nécessite une révolution culturelle chez les médecins prenant en charge les personnes avec épilepsie. Beaucoup de médecins craignent de provoquer une réaction anxieuse chez leurs patients. En réalité, plusieurs études indiquent que cette discussion est le plus souvent appréciée par les patients, ce d’autant qu’elle peut mener à des mesures préventives discutées ci-après. D’un point de vue pratique, je conseille d’aborder la problématique globale des risques liées à la survenue d'une crise: tel que le risque de noyade ou de brûlure, qui sont bien compris des patients, et d’aborder ensuite le risque de SUDEP.
«Beaucoup de médecins craignent de provoquer une réaction anxieuse chez leurs patients. En réalité, plusieurs études indiquent que cette discussion est le plus souvent appréciée.»
Quelles devraient être, selon vous, les priorités pour renforcer la prévention de la SUDEP dans les années à venir?
Aujourd’hui, il existe plusieurs moyens pour prévenir les SUDEP. Le premier est d’optimiser le traitement anti-épileptique car le risque de SUDEP devient quasi-nul chez les personnes dont l’épilepsie est parfaitement contrôlée. Cela peut nécessiter un ajustement des médicaments anti-épileptiques, et lorsqu’indiqué, un traitement chirurgical ou par neuromodulation. Il est très important d’éviter les oublis de prises de médicaments, les arrêts intempestifs du traitement ainsi que les addictions éventuelles.
En second lieu, une surveillance nocturne chez les personnes souffrant de crises convulsives généralisées nocturnes est conseillée. Elle nécessite l’utilisation de systèmes de détection de crise et d’alarme permettant d’alerter un proche pour une intervention rapide. Le simple fait de mettre le patient en PLS à l’issue d’une crise convulsive permet d’éviter la SUDEP dans la grande majorité des cas. Notre équipe a développé à ce titre une solution innovante, EpiSave, qui sera bientôt disponible.
Les résultats de REPO2MSE invitent par ailleurs à optimiser la prise en charge du surpoids et le traitement chirurgical des épilepsies périsylviennes et frontales. Pour l’avenir, l’incrémentation progressive de nouveaux facteurs de risque de SUDEP devrait permettre de mieux cibler la population à protéger, et d’étudier, dans cette population, de nouvelles interventions préventives.
L’étude REPO2MSE en bref
REPO2MSE est l’une des rares études prospectives sur la SUDEP, une approche qui permet de suivre les patientes et patients sur plusieurs années et de collecter des données avant la survenue éventuelle d’un décès.
- Cohorte: 1'074 personnes atteintes d’épilepsie
- Suivi sur près de 10 ans
L’étude met en évidence deux nouveaux facteurs de risque majeurs:
- Le surpoids, qui pourrait aggraver le risque d’étouffement en fin de crise.
- L’origine des crises dans certaines régions du cerveau (zones périsylviennes et lobe frontal), impliquées dans les fonctions cardiorespiratoires et les crises convulsives nocturnes.
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