Un vieux débat en France refait surface avec force: celui de contraindre les médecins à s'installer dans les zones sous-dotées du territoire – les déserts médicaux. Si le débat a été lancé il y a longtemps déjà, la chambre basse du Parlement français vient d'adopter une proposition de loi très controversée en ce sens.
Un vote dans un hémicycle quasiment vide
Le mercredi 7 mai, vers 23 heures, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi portée par Guillaume Garot (Parti socialiste), visant à lutter contre les déserts médicaux en régulant l’installation des médecins libéraux. Fait marquant, qui alimente encore davantage la colère des praticiens: la loi a été adoptée par 99 voix contre 9, alors que seulement 118 députés étaient présents sur 577 – un hémicycle quasiment vide.
Selon le texte actuel, une autorisation d’exercer sera accordée de droit si le médecin s’installe dans une zone sous-dotée ou confrontée à des difficultés d’accès aux soins. Elle pourra également être délivrée dans d’autres territoires, à condition qu’un médecin de même spécialité y cesse son activité – par exemple, en cas de départ à la retraite. En dehors de ces situations, aucune autorisation ne pourra être accordée.
Un risque de démobilisation
Malgré un appel à la grève et des manifestations dans toute la France fin avril, le texte a franchi une première étape. Étudiants et médecins en exercice ne cachent pas leur indignation face à ce qu’ils dénoncent comme une forme de «coercition» qui menacerait l’avenir du système de santé en décourageant les vocations. «Les urgences seront surchargées, car les patients n’auront plus de médecins traitants. L’autre risque, c’est de se tourner vers des médecines alternatives», avertit Ambre Dujeu, ancienne vice-présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (ANEMF), au micro de
«Franceinfo».
Un territoire massivement sous-doté
Une situation particulièrement tendue, alors que 87% du territoire français est sous-doté et que la population vieillit, notamment dans les zones rurales. «Pour les 10% de la population vivant dans les zones les plus mal dotées, il faut compter 11 jours pour obtenir un rendez-vous chez un généraliste, 93 jours chez un gynécologue et 189 jours chez un ophtalmologue», souligne la
Direction de l'information légale et administrative.
Le modèle envisagé en France rappelle le «gel des admissions» en vigueur en Suisse depuis 2002: dans certains cantons et spécialités, un médecin ne peut s’installer qu’à condition qu'un confrère cesse son activité. La logique est toutefois inversée. En Suisse, l'objectif est de limiter l'offre médicale pour contenir les coûts de santé; en France, il s'agit au contraire de garantir l'accès aux soins de base dans certaines zones en rendant l'installation presque impossible dans les régions déjà bien pourvues.
La proposition de loi va désormais être examinée par la deuxième chambre du Parlement, le Sénat, qui entend soumettre au vote sa propre version. Le texte porté par le sénateur Philippe Mouiller propose de conditionner l’installation des médecins à la réalisation de consultations à temps partiel dans les zones sous-dotées. Entre «fin de la liberté d’installation» et «encadrement» de cette liberté, les échanges restent vifs.