Dépendants de l'IA? Une étude met en garde contre la perte de compétences chez les médecins

S’appuyer excessivement sur l’intelligence artificielle lors des coloscopies pourrait réduire la capacité des médecins à détecter les lésions précancéreuses. Une étude montre que cet effet peut apparaître en seulement trois mois, nourrissant les inquiétudes sur l’érosion de compétences clés.

, 14 août 2025 à 12:58
image
Les humains et l'IA travaillent plus efficacement ensemble. Mais que se passerait-il si l'IA venait à manquer? | Image symbolique: Adobe Stock
L’utilisation routinière de l’IA dans le dépistage précoce du cancer colorectal pourrait réduire les compétences des professionnels pratiquant l’endoscopie. C’est ce que suggère une étude multicentrique polonaise publiée dans «Lancet Gastroenterology & Hepatology».
  • Krzysztof Budzyń, Marcin Romańczyk, Diana Kitala, et al.: «Endoscopist deskilling risk after exposure to artificial intelligence in colonoscopy: a multicentre, observational study», dans: «Lancet Gastroenterology & Hepatology», août 2025.
  • DOI: 10.1016/S2468-1253(25)00133-5
L’intégration de systèmes d’assistance basés sur l’intelligence artificielle dans la pratique de l’endoscopie promet une meilleure sécurité et des taux de détection accrus des stades précoces du cancer colorectal. Cependant, une utilisation continue pourrait entraîner un déclin des performances lorsque l’outil n’est plus disponible.

Baisse significative du taux de détection

Les chercheurs ont analysé les données de quatre centres d’endoscopie polonais participant à l’étude ACCEPT (Artificial Intelligence in Colonoscopy for Cancer Prevention), qui utilisent depuis fin 2021 des outils d’IA pour la détection des polypes. Ils ont comparé la qualité des coloscopies réalisées trois mois avant et trois mois après l’introduction de l’IA.

Résultat:

  • Avant l'introduction de l'IA, le taux de détection des adénomes (ADR) était de 28,4%. Après plusieurs mois d'utilisation régulière de l'IA, il a chuté à 22,4% pour les examens non assistés par IA, soit une baisse significative de 6 points (p = 0,0089).
Selon les auteurs, cela pourrait refléter un «effet de déqualification», c’est-à-dire une perte de compétences liée à une dépendance excessive vis-à-vis de l’assistance technologique.

Les spécialistes appellent à la prudence

«Bien que la déqualification liée à l’IA ait déjà été évoquée comme risque théorique, il s’agit ici de la première étude fondée sur des données réelles qui suggère un tel effet», explique Catherine Menon (Université du Hertfordshire) au Science Media Centre. Elle souligne qu’en cas d’indisponibilité soudaine de l’IA – par exemple lors d’une cyberattaque ou d’une panne informatique – les performances pourraient être inférieures à leur niveau initial.
De son côté, Venet Osmani (Queen Mary University of London) appelle à ne pas tirer de conclusions hâtives: après l’introduction de l’IA, le nombre de coloscopies a presque doublé. Cette augmentation de la charge de travail pourrait avoir provoqué fatigue et manque de temps, affectant les résultats. Les changements organisationnels liés à l’IA pourraient également avoir joué un rôle.
«There may be a risk that health professionals who get accustomed to using AI support will perform more poorly than they originally did if the AI support becomes suddenly unavailable, for example due to cyber-attacks or compromised IT systems.» Dr Catherine Menon, University of Hertfordshire.
Pour Allan Tucker (Brunel University London), il s’agit d’«un travail de recherche solide», mais limité par son caractère observationnel unique. Il fait référence au concept de «biais d’automatisation»: la tendance des professionnels à valider sans remise en question les propositions de l’IA, ce qui peut réduire leur prise de décision autonome, même si l’IA détecte plus de cancers au global.

Premier avertissement – d'autres études sont nécessaires

Dans un commentaire accompagnant l’étude, le gastro-entérologue Omer Ahmad (non impliqué dans les travaux) parle d’un «premier avertissement réel» et alerte sur la «lente érosion potentielle de compétences clés». Il rappelle toutefois que des études plus robustes méthodologiquement sont nécessaires avant toute conclusion définitive.
En résumé, les systèmes d’IA en médecine offrent des opportunités indéniables, mais comportent aussi des risques, notamment la perte progressive de compétences cliniques fondamentales. Le véritable défi des prochaines années sera de trouver l’équilibre entre assistance technologique et maintien de l’expertise médicale.
Partager l'article

Loading

Commentaire

Plus d'informations sur ce sujet

image

Vaccins à ARNm: plusieurs millions de données pour rassurer les sceptiques

Une étude d’ampleur livre des résultats sur la sécurité des vaccins à ARNm contre le Covid-19. Résultat: une baisse significative de la mortalité liée à la maladie, et une surprenante réduction de la mortalité toutes causes confondues.

image

L'UNIGE signe une avancée majeure dans la lutte contre le diabète de type 1

Vivre avec un diabète de type 1 sans dépendre de l’insuline? C’est l’horizon qu’esquisse un consortium européen dirigé par l’Université de Genève, qui présente un pancréas bioartificiel aux résultats prometteurs.

image

À Berne, des parlementaires demandent une enquête sur Epic

Face au manque de transparence du Conseil d’État sur les coûts et les risques liés à l’introduction du système Epic, plusieurs partis exigent désormais l’ouverture d’une enquête parlementaire.

image

Une étiquette intelligente pour sécuriser le transport des médicaments

Une équipe de l'Empa, de l'EPFL et du CSEM a développé une étiquette-capteur biodégradable capable de mesurer en temps réel la température et l'humidité – une innovation qui pourrait améliorer le suivi du transport de produits tels que les médicaments.

image

Virage numérique: la Confédération ouvre la voie aux apps santé sur ordonnance

À partir de juillet 2026, les caisses maladie suisses prendront en charge, pour la première fois, des applications numériques. Concrètement, il s’agira de solutions destinées au traitement de la dépression, pouvant être prescrites en complément ou en amont d'une psychothérapie.

image

Les smartwatches rendraient les médecins plus résistants

Une récente étude livre des résultats surprenants: les médecins qui suivent leurs données de santé grâce à une montre connectée voient leur risque de burnout diminuer et leur résilience se renforcer.

Du même auteur

image

Septième cas mondial de rémission du VIH après une greffe de cellules souches

Un sexagénaire est considéré guéri du VIH. Selon des scientifiques berlinois, son cas est d’autant plus remarquable que les cellules souches transplantées n’étaient pas résistantes au virus.

image

Épilepsie et mort subite: «Une révolution culturelle s'impose»

Philippe Ryvlin, neurologue au CHUV, a identifié deux nouveaux facteurs de risque majeurs du décès soudain d’une personne atteinte d'épilepsie sans cause apparente. Interview.

image

Embouteillage pour l'obtention d'un titre: l'ISFM réduit les frais de moitié avec effet rétroactif

Suite aux interventions de plusieurs associations, l’ISFM réagit en réduisant temporairement de moitié les frais d’obtention d’un titre, avec effet rétroactif. Cette concession ne marque toutefois pas la fin du problème, bien au contraire.