Depuis le 1er juillet 2022, les psychologues psychothérapeutes peuvent exercer leur activité à titre indépendant dans le cadre de l’assurance de base. Condition essentielle: une prescription médicale. Le mécanisme paraît limpide. Du moins en théorie.
Dans la pratique, le modèle s’avère complexe et coûteux. Pour de nombreux médecins de premier recours, chargés de prescrire et de coordonner les traitements, le système est également difficilement lisible.
Théorie (et pratique): comparaison
La médecin de famille a prescrit 15 séances, puis 15 autres, car la patiente présente une maladie psychique nécessitant un traitement urgent. Une fois les 30 séances épuisées (je dois garder un œil sur la situation afin d’éviter que la patiente ne se retrouve soudainement sans garantie de prise en charge), la patiente n’est malheureusement pas encore guérie.
Je rédige alors un rapport et l’envoie à la médecin de famille.
(Ce que je ne fais pas, car personne, de son côté, ne saurait quoi en faire.)
Le modèle prévoit que la médecin de famille recherche un spécialiste en psychiatrie afin d’apporter une expertise complémentaire à mon travail.
(Ce qu’elle ne fait pas. Je cherche moi-même un psychiatre, ce qui est souvent délicat, car eux aussi sont surchargés.)
L'autrice
Judith Biberstein est psychothérapeute, formatrice pour adultes, assure des supervisions et possède un cabinet à Berne. Elle dirige l'antenne bernoise du Centre IBP pour la santé mentale et a des missions d'enseignement à différents endroits, notamment en tant que chargée de cours et formatrice à l'Institut IBP pour la psychothérapie corporelle intégrative.
Elle envoie ensuite mon rapport au psychiatre.
(Ce qu’elle ne fait pas. J’imprime le rapport, le tamponne, le signe, le scanne et l’envoie moi-même au psychiatre.)
Le psychiatre convient alors d’une consultation avec la patiente afin d’évaluer mon travail et le rapport sur la base de son expertise. Cette rencontre peut être déstabilisante pour la patiente, qui doit ensuite être rééquilibrée — un processus souvent délicat.
Le psychiatre ajoute quelques lignes à mon rapport, puis renvoie l’expertise imprimée, tamponnée, signée et scannée à la médecin de famille.
(Ce qu’il ne fait pas: il m’envoie l’expertise, après quoi je transmets l’ensemble à la médecin de famille.)
L’assistante médicale de la médecin de famille transmet ensuite les documents au médecin-conseil de la caisse-maladie pour examen, avec le cachet et la signature de la médecin de famille.
(Certaines assistantes médicales me les envoient d’abord, puis je les transmets moi-même au médecin-conseil.)
Le médecin-conseil doit alors approuver la garantie de paiement. Cette étape peut prendre des mois, et la médecin de famille est censée se renseigner en cas de retard.
(Ce qu’elle ne fait pas. Cette situation ne m’est pas indifférente, car je dois alors, en théorie, interrompre le traitement ou prendre le risque que mes factures ne soient pas honorées. Je demande donc à la patiente de contacter la caisse-maladie pour identifier le blocage – ou je le fais moi-même si elle n’en est pas capable.)
Finalement, le médecin-conseil envoie sa décision à la médecin de famille, avec copie à la patiente. La médecin de famille me donne ensuite l’ordre de poursuivre le traitement.
(Ce qu’elle ne fait pas: j’apprends généralement par les patients que la garantie de prise en charge a été accordée, et pour combien d’heures. Il arrive parfois que les caisses-maladie m’envoient aimablement une copie – sur laquelle mon nom n’apparaît souvent même pas.)
C’est le quotidien de la psychothérapie. C’est le modèle de prescription. Qu’est-ce que cela vous évoque?
Des ajustements urgents sont nécessaires
Il convient également de rappeler que les psychothérapeutes, après l’obtention d’un master en psychologie, suivent une formation postgrade autofinancée de quatre à cinq ans, coûtant entre 50'000 et 80'000 francs. Durant cette période, ils effectuent notamment un travail exigeant et largement sous-payé auprès de patients souffrant de troubles psychiques aigus, souvent en milieu clinique.
Par ailleurs, les psychothérapeutes vivent dans une insécurité financière latente, car ils facturent actuellement sur la base d’un tarif provisoire. D’une part, ils ignorent quel sera le tarif définitif et à partir de quand il s’appliquera, les négociations tarifaires étant bloquées depuis des années. D’autre part, ils travaillent sous la menace de devoir effectuer des remboursements rétroactifs jusqu’en juillet 2022 si les négociations aboutissaient à une baisse du tarif – une éventualité déjà annoncée par les caisses-maladie.
Le modèle de prescription a permis à davantage de personnes souffrant de troubles psychiques d’accéder à la psychothérapie. Toutefois, des adaptations sont urgentes. L’enjeu est clair: éviter que des professionnels renoncent à la prise en charge de patients atteints de maladies chroniques ou graves, face à une procédure administrative lourde, coûteuse et qui ne reconnaît pas pleinement leurs compétences.