Simon Maurer, vous vous trouvez depuis avril à l'Université de Pennsylvanie (U-Penn) pour un séjour de recherche. Pourquoi cette université?
Je suis dans un laboratoire de recherche fondamentale qui étudie la technologie de l’ARN messager. Des vaccins à ARNm y sont testés sur des souris afin de mieux comprendre leur impact sur le système immunitaire. D'un point de vue mécaniste, tout est loin d'être élucidé – c'est précisément ce qui rend la chose si passionnante.
Qu’est-ce qui vous fascine dans la technologie de l’ARNm?
Elle est d’une élégance remarquable. À la différence de la thérapie génique par CRISPR, qui modifie directement le génome, l’ARN messager ne fournit qu'un plan de construction pour une protéine – de façon temporaire et sans altération génétique. Cette technologie polyvalente recèle un énorme potentiel pour le traitement de nombreuses maladies.
Simon Maurer est étudiant en médecine et journaliste. Cet été, le Zurichois travaillera pour «CH Media», avant d'exercer en tant qu'externe en chirurgie à Sursee. À la fin de l'année, il sera stagiaire au «Spiegel».
Pourquoi avoir choisi les États-Unis, alors même que beaucoup parlent d’une fuite des cerveaux?
Je voulais comprendre comment la recherche fonctionne ici – au-delà des gros titres. Malgré les critiques visant le contexte politique, l’infrastructure scientifique reste à la pointe. Et dans les faits, il n’y a pour l’instant guère de signe d’un exode massif: on en parle beaucoup, mais peu passent réellement à l’action.
Avez-vous rencontré des difficultés au moment d’entrer sur le territoire?
Les agents de l’immigration m’ont interrogé un peu plus longuement que d’habitude. Les étudiants en médecine en dernière année bénéficient d’une exception très spécifique dans la législation: elle leur permet d’entrer aux États-Unis sans visa J – qui est normalement le plus contraignant. En revanche, il est interdit de percevoir un salaire d’un employeur américain, et certaines règles supplémentaires doivent être respectées. Une fois que j’ai expliqué les raisons de mon séjour et présenté ma lettre d’invitation ainsi qu’une attestation d’inscription semestrielle dans une université suisse, ils m’ont laissé entrer.
Un voyage aux États-Unis se termine par une détention et une expulsion
La «NZZ» rapportait récemment le cas d’une étudiante suisse arrêtée alors qu’elle entrait aux États-Unis munie d’une autorisation valide. Soupçonnée de travail illégal, la future enseignante a été placée en détention, fouillée, puis expulsée dès le lendemain. Cette affaire illustre la dureté de la politique migratoire sous l’administration Trump – et soulève des interrogations sur l’arbitraire juridique aux frontières américaines.
Vous décrivez la recherche aux États-Unis comme étant «à la pointe». En quoi se différencie-t-elle de la situation en Suisse?
Par la mentalité. En Suisse, quand on a une nouvelle idée, on nous demande souvent: «Pourquoi?» Aux États-Unis, c'est plutôt: «Pourquoi pas?» Cette ouverture d'esprit est impressionnante. La combinaison d'activités cliniques et scientifiques, par exemple pour les MD-PhD, est également beaucoup plus répandue. Ce modèle libère des ressources que l'on voit rarement en Suisse. À cela s'ajoute bien sûr une quantité incroyable d'argent, ce qui est moins le cas en Europe.
Que retenez-vous de la politique américaine – en particulier de l'agenda de Trump vis-à-vis de la science?
L'executive order de Trump sur la prétendue «transparence» dans la recherche suscite de vives réactions ici. En réalité, il s'agit plutôt de contrôles et de restrictions. De nombreux chercheurs étrangers, n'ayant pas de passeport américain, se demandent désormais très sérieusement s'ils prendront le risque de rendre visite à leur famille en été – sous peine de se voir refuser l'accès au pays malgré un visa valide. Les coupes dans les financements des NIH sont également particulièrement dramatiques. Certains chercheurs ont dû interrompre brutalement leurs projets, tandis que d'autres continuent à travailler sans salaire.
Comment en est-on arrivé là?
Lorsqu'un essai clinique sur la vaccination est en cours, il n'est pas possible d'y mettre un terme si facilement. Les expérimentations portant sur l'ARNm se déroulent généralement sur une période d'au moins trois mois, et tant que des changements directs restent détectables. Beaucoup continuent donc à travailler par souci de responsabilité, sans savoir s'ils pourront à nouveau commander leur matériel. C'est particulièrement décevant pour les jeunes chercheurs dont le financement est incertain et qui ont besoin de ces études pour avancer.
Comment percevez-vous les débats autour des vaccins à ARNm?
Cette technologie est chargée politiquement – surtout depuis que le secrétaire à la Santé Bobby Kennedy la diabolise. Il est pourtant clair que si les États-Unis se retiraient maintenant pour des raisons idéologiques, la Chine et l'Europe prendraient le relais et amasseraient des milliards. Du point de vue de la «realpolitik», une telle décision serait presque impensable. Pourtant, on sent que les décisions politiques interfèrent de plus en plus avec la science.
Et qu'en est-il des questions de parité et de genre à l'U-Penn?
Au sein du laboratoire, on observe une équipe diversifiée et équilibrée. Je n'ai pas été confronté à une quelconque discrimination liée au genre, mais il faut dire que je suis un homme blanc. Les projets de recherche portant sur la médecine transgenre sont toutefois davantage touchés par les baisses de financement – certains le ressentent. L'université dans son ensemble reste un environnement progressiste, contrairement au discours sociétal qui s'est fortement polarisé à travers les États-Unis.
Que représente la charge de travail des collaborateurs de l'U-Penn?
Elle est extrêmement élevée. Beaucoup travaillent jusque tard dans la nuit et se lèvent à six heures le lendemain matin. En Suisse aussi, les jeunes médecins travaillent souvent plus de 50 heures par semaine, en échange d'un salaire relativement faible. Selon moi, ce système n'est plus adapté à notre époque. Un médecin assistant surmené met en danger la sécurité des patients.
La Suisse pourrait-elle être dépassée au niveau international?
Non, je ne pense pas. Au contraire: en Allemagne, de nombreux médecins travaillent désormais moins qu'en Suisse. Et beaucoup hésitent à venir en Suisse en raison de la charge de travail élevée. Les Etats-Unis, avec leur culture de l'Ivy League, sont bien sûr un cas extrême – toute comparaison serait difficile.
Vous sentez-vous en sécurité à Philadelphie?
Honnêtement, pas particulièrement. Le soir, après 22 heures, je ne sors plus seul dans la rue. La situation est tendue en termes de sécurité, il y a eu des renforts de police et des coups de feu à proximité de mon logement. Ça transforme notre expérience du quotidien – justement en comparaison avec la Suisse, où j'ai beaucoup moins à me poser de questions.
Comment cela se traduit-il dans votre quotidien?
Ça isole. J'ai pu constater à quel point j'ai besoin de contact social pour me sentir bien. Vivre seul, sans pouvoir sortir spontanément et rencontrer d'autres gens, ça pèse. À l'avenir, c'est clair: j'ai besoin d'un entourage plus proche et avec lequel pouvoir échanger davantage.
Comment vous perçoit-on en tant que Suisse?
En comparaison avec avant, c'est définitivement différent. Lorsque je suis parti aux États-Unis pour un semestre d'échange en 2016, j'ai été accueilli avec beaucoup d'ouverture d'esprit, pour ne pas dire avec enthousiasme. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que l'ambiance a changé. Les réactions à mon égard n'étaient pas pour autant hostiles, mais beaucoup plus froides. Je pense que cela découle d'une forme de polarisation croissante: dans certains cercles, l'Europe n'est plus perçue aussi positivement qu'auparavant.
Que retenez-vous à titre personnel de cette expérience?
L'enthousiasme pour la recherche. Je m'imagine bien continuer à travailler dans le domaine scientifique. Mais j'en retiens aussi le fait qu'une vie bien vécue requiert plus que l'accès à des laboratoires et une incitation à la performance. J'aimerais, à l'avenir, faire plus attention à trouver un équilibre.