La France s'est alarmée lorsque Sanofi a annoncé la vente d'au moins 50% de sa filiale Opella au fonds d'investissement américain Clayton, Dubilier & Rice. Opella produit notamment le Doliprane®, l'équivalent français du Dafalgan® – un médicament présent dans presque tous les foyers français. Le gouvernement français y a vu une menace pour la souveraineté nationale en matière de production de médicaments.
L'ancien ministre de l'Économie, Antoine Armand, avait obtenu que l'État français devienne actionnaire minoritaire de l'entreprise via la banque publique de développement Bpifrance et avait exigé des garanties de livraison. En outre, le contrat de vente prévoyait de lourdes pénalités: 40 millions d'euros en cas de délocalisation de la production et 100'000 euros par poste supprimé pour des raisons économiques.
Enea Martinelli est pharmacien-chef aux Hôpitaux FMI SA et vice-président de Pharmasuisse.
L'ouragan Hélène, qui a dévasté une partie de la côte est des États-Unis à la fin du mois de septembre 2024, a eu des conséquences encore plus dramatiques. L'usine de Baxter à Marion, en Caroline du Nord, qui produit des solutions de perfusion, des ampoules et des liquides de dialyse (produits essentiels pour les hôpitaux) a été particulièrement touchée.
Même avant la tempête, l'approvisionnement en solutions intraveineuses pour les enfants était déjà critique, mais la situation s'est alors aggravée de manière dramatique. De nombreuses opérations ont dû être reportées afin d'éviter un effondrement de l'approvisionnement d'urgence. Dans le cadre d'une action sans précédent, plus de 200 jumbo-jets chargés de solutions de perfusion ont été envoyés d'Europe et d'Asie vers les États-Unis.
«Un manque de médicaments vitaux pourrait plonger les hôpitaux dans une crise en seulement quelques heures.»
Peu de temps après, le 10 octobre 2024, AP News rapportait qu'une usine de Daytona avait échappé de justesse aux destructions causées par l'ouragan Milton. Au même moment, le
«Deutsches Ärzteblatt» annonçait que les hôpitaux allemands souffraient d'une pénurie de solutions salines.
Bien qu’aucun lien direct n’ait été établi, cette chaîne d’événements illustre la fragilité de l’approvisionnement en médicaments à l’échelle mondiale.
Pas d'ampoules de morphine
La Suisse n’échappe pas non plus aux pénuries. Sintetica, fabricant d’analgésiques, a été vendu en 2019 au fonds de private equity français Ardian. Son expansion aux États-Unis ne s’est apparemment pas déroulée comme prévu, si bien que l’entreprise a dû supprimer 55 postes en début d’année – dont 40 sur le site de Couvet (NE) et 15 au Tessin. Peu de temps après, une autre mauvaise nouvelle est tombée: en raison de problèmes d’approvisionnement en matières premières, Sintetica ne pourra pas fournir d’ampoules de morphine avant juillet 2025.
«Les pénuries de médicaments ne sont plus un phénomène marginal, mais une menace réelle pour les soins de santé.»
L’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays a dû organiser en urgence une solution transitoire avec Streuli Pharma à Uznach. Pourtant, cette information cruciale n’est parvenue aux hôpitaux qu’en mars. Que se serait-il passé si aucune solution n’avait été trouvée?
Ces cas le démontrent: les pénuries de médicaments ne sont plus un phénomène marginal, mais un danger réel pour les soins de santé. Les perfusions, les ampoules et les analgésiques sont particulièrement concernés, car ils sont indispensables aux soins aigus. Un arrêt de la production peut provoquer une crise d’approvisionnement en quelques heures.
«Les médicaments d'importance critique sont des infrastructures – tout aussi essentielles que l'énergie ou l'eau.»
Deux jours plus tard, la Commission européenne a présenté un
nouveau règlement incluant les mesures suivantes:
- Augmentation des capacités de production pour les médicaments d'importance critique dans l'UE.
- Soutien financier aux projets industriels stratégiques.
- Diversification des chaînes d'approvisionnement grâce à des partenariats internationaux.
- Achat groupé de médicaments essentiels par plusieurs États membres.
- Instauration de critères d'attribution visant à renforcer la production au sein de l'UE et à réduire les dépendances.
«Un cas d'urgence aurait des conséquences dramatiques»
Alors que l’Europe sécurise son approvisionnement, la Suisse peine à mettre en place une stratégie d’anticipation. La politique industrielle? Un sujet tabou.
Mais que se passe-t-il lorsqu’une pénurie de médicaments survient et qu’aucune alternative n’existe? Les médicaments critiques sont des infrastructures – tout aussi essentielles que l’énergie ou l’eau.
Un manque de médicaments vitaux pourrait plonger les hôpitaux dans une crise en quelques heures. Des épileptiques sans traitement, des patients cardiaques privés de médicaments, des schizophrènes sans soins: une telle situation d’urgence aurait des conséquences dramatiques. Pourtant, nombre de ces médicaments ne figurent pas sur la liste des produits vitaux de l’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays.
Il est naïf de croire qu’en cas de crise, la Suisse pourra simplement compter sur l’approvisionnement de l’UE. S’agissant des médicaments indispensables, nous avons peu de marge de négociation, car nous ne contribuons guère à l’approvisionnement de nos voisins.
- Médicaments: du goulet d'étranglement au piège des coûts. Un médicament venant à manquer peut sembler un phénomène aléatoire. Or, les conséquences sont systématiques. Le cas typique d’un traitement cardiaque l’illustre: au final, la solution la plus chère est souvent la seule disponible.
- Médicaments: talon d’Achille de la défense européenne. Antibiotiques, anesthésiques, thrombolytiques: sans eux, la sécurité d'un pays vacille. Face à une dépendance croissante aux importations, onze ministres de la Santé appellent à une offensive dans le domaine pharmaceutique, financée, entre autres, par les budgets de la défense.