L’Europe doit se détacher de la tutelle américaine. L’Europe doit assurer sa propre défense. Mais pour cela, elle doit aussi renforcer son autonomie stratégique, notamment dans le domaine pharmaceutique. Depuis plusieurs semaines, le grand débat politique tourne autour de cette question: l’Europe doit investir massivement pour se réarmer. Récemment, le sujet a pris une nouvelle dimension avec l’appel commun de onze ministres européens de la Santé, plaidant pour un réarmement du continent… mais cette fois, avec des fabricants de médicaments.
Le titre de leur tribune est sans équivoque: «La dangereuse dépendance de l'Europe dans le domaine des médicaments est le talon d'Achille de sa stratégie de défense ». Dans cet appel, les ministres alertent sur l’extrême vulnérabilité du continent, trop dépendant des importations pharmaceutiques, ce qui constitue une faille majeure en cas de conflit. Parmi les signataires figurent Karl Lauterbach (Allemagne), Mónica García Gómez (Espagne) et Frank Vandenbroucke (vice-premier ministre de Belgique).
- Frank Vandenbroucke, Vlastimil Valek, Spyridon-Adonis Georgiadis, Hosam Abu Meri, Mónica García Gómez, Karl Lauterbach, Ana Paula Martins, Riina Sikkut, Marija Jakubauskienė, Valentina Prevolnik Rupel, Michael Damianos: «Europe’s dangerous medicine dependency is the Achilles heel of its defence strategy», dans: «Euronews», 9 mars 2025.
Pour illustrer ce risque, ils prennent l’exemple des antibiotiques: «Imaginez que la chaîne d'approvisionnement en antibiotiques soit interrompue en pleine escalade militaire. Ce n'est pas un scénario irréaliste. Actuellement, 80 à 90% des antibiotiques mondiaux sont produits en Asie, principalement en Chine. Sans ces médicaments essentiels, des interventions chirurgicales de routine pourraient devenir des procédures à haut risque, et des infections facilement traitables pourraient devenir fatales.»
Il serait facile pour des acteurs étrangers de profiter de cette dépendance pour saboter la capacité de défense de l'Europe. Car «sans antibiotiques, nos systèmes de santé s'effondreraient rapidement».
Autrefois leader dans la production pharmaceutique, l’Europe dépend aujourd’hui à 60 à 80% de l’Asie pour son approvisionnement en médicaments. La pression sur les prix, le coût de la main-d’œuvre et les exigences environnementales ont poussé de nombreuses entreprises à délocaliser, créant ainsi une situation à risque.
Des médicaments et des chars
L'UE a certes déjà pris des mesures: avec le
Critical Medicines Act de mai 2023, elle a essayé de mieux sécuriser les chaînes d'approvisionnement. Mais la situation géopolitique a déjà évolué.
Les ministres citent comme modèle le Defense Production Act des Etats-Unis, qui traite les chaînes d'approvisionnement pharmaceutiques comme un problème de sécurité nationale.
En Europe aussi, les médicaments stratégiques devraient être placés sous un régime de priorité similaire, peut-on lire dans la lettre ouverte. Les antibiotiques, les anesthésiques et les thrombolytiques sont également essentiels en cas de guerre et de catastrophe.
C'est pourquoi il incombe désormais à la Commission européenne d'identifier rapidement les points faibles dans les chaînes d'approvisionnement de ces médicaments stratégiques. Là où c'est nécessaire, «l'Europe doit agir avec détermination et, si possible, mettre en place une production nationale».
Les États européens, concluent-ils, ne peuvent plus reléguer la sécurité médicale au second plan. Le Critical Medicines Act doit être élargi pour devenir un véritable programme stratégique, financé, en outre, par les budgets de la défense.