Le phénomène des revolving doors «made in Switzerland»

Pantouflage, conflits d’intérêts, influence: une récente enquête dresse un tableau des liens de plus en plus étroits entre industrie pharmaceutique et autorités publiques de régulation.

, 27 mai 2025 à 13:47
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Image symbolique: Derek Lee / Unsplash
Le phénomène des «revolving doors», ou pantouflage, semble prendre de l'ampleur au sein du système de santé helvétique. Tel est le constat dressé par l'organisation non gouvernementale «Public Eye» dans une récente enquête. S'intéressant aux transferts de professionnels entre entreprises pharmaceutiques et institutions clés de régulation des médicaments – telles que Swissmedic et l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) –, l'étude met en lumière des liens étroits, parfois troubles, qui pourraient compromettre l'indépendance des autorités.

Des centaines de cas identifiés

Dans le cadre de son enquête, Public Eye a pu recenser 239 professionnels impliqués dans au moins un épisode avéré de pantouflage direct entre le secteur public et l'industrie pharmaceutique. Parmi eux, 173 travaillent pour Swissmedic, représentant près d’un quart de l’ensemble du personnel de l'institut. Du côté de l’OFSP, ce sont 66 personnes, soit 4% de l’effectif étudié.
Plus largement, «sur les 741 personnes identifiées comme ayant travaillé chez Swissmedic, 294 ont œuvré dans au moins une entreprise pharmaceutique, soit près de 40%, toutes fonctions confondues», souligne l'enquête. Ce chiffre s'établit à 13% pour l'OFSP.
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Graphique: enquête de Public Eye

Des postes sensibles concernés

L'enquête met également en lumière les divisions les plus touchées par les conflits d'intérêt. Le secteur des autorisations de mise sur le marché (AMM) à Swissmedic concentre à lui seul 52% des cas de pantouflage identifiés. Public Eye évoque notamment le parcours d’un cadre employé pendant 18 ans chez Sandoz et Roche, avant de devenir responsable du secteur des AMM à Swissmedic, pour finalement rejoindre Novartis en tant que responsable de la conformité.
D'autres secteurs jugés sensibles présentent également des taux élevés, notamment ceux liés aux essais cliniques, aux inspections, aux médicaments innovants, ainsi qu'à la réglementation des produits thérapeutiques et à l'accès aux données patient, autant d'enjeux cruciaux pour l'industrie.

Homologation de médicaments, fixation des prix, etc.

L'ONG Public Eye tire la sonnette d'alarme : des formes d'influence dans des processus critiques sont à craindre, notamment en ce qui concerne l'homologation de médicaments, la fixation des prix, l'obtention de procédures accélérées d'autorisation, etc.
Pour appuyer son propos, l'organisation fournit divers exemples concrets. Citons par exemple le cas d'une ancienne secrétaire d’État à l’économie (SECO) ayant rejoint le conseil d’administration de Nestlé moins d’un an après avoir quitté ses fonctions, et qui défendait jusqu'alors les intérêts commerciaux de la multinationale. De même, un ex-vice-directeur de l’OFSP a immédiatement pris la tête d’une caisse-maladie privée après avoir quitté l'administration fédérale.

Des solutions sur la table

Interrogés par Public Eye, Swissmedic et l’OFSP reconnaissent les risques de conflits d’intérêts, mais n'ont pas souhaité commenter les résultats de l’enquête. Aucune des deux institutions ne déclare tenir des statistiques officielles sur le sujet.
Public Eye appelle pour sa part à institutionnaliser un délai de carence obligatoire d’au moins 12 mois entre un mandat public et un emploi privé dans le même secteur. L’organisation demande également que le phénomène soit encadré dans les deux sens – du public vers le privé, mais aussi du privé vers le public – et que l'encadrement de ces mouvements de personnel soit soumis à plus de transparence.
Selon l'organisation, le pantouflage dans le secteur de la santé ne serait pas un phénomène marginal ou isolé, mais plutôt une pratique en recrudescence face aux moyens considérables de l'industrie pharmaceutique.

Vers l'enquête complète de Public Eye

À propos de Public Eye

Fondée en 1968, l’association Public Eye compte aujourd’hui plus de 29’000 membres. Politiquement et financièrement indépendante, elle mène des enquêtes sur les pratiques d’entreprises et d’acteurs économiques suisses et milite pour une économie respectueuse des droits humains.

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