Dans le secteur hospitalier suisse, il n’existe guère de critère financier aussi souvent invoqué que celui-ci: 10%, c’est le taux de marge Ebitda qu’un hôpital de soins aigus devrait atteindre. Cette marge serait en effet la seule garantie d’un refinancement durable.
Introduit en 2011 par le cabinet de conseil PwC, ce pourcentage est devenu une valeur de référence. Il s’est depuis longtemps imposé dans l’esprit de nombreuses directions et figure désormais dans les stratégies de nombreux propriétaires et entreprises.
Voilà pourquoi les propos de la nouvelle étude de PwC sur les hôpitaux retiennent l’attention: «En raison des projets de construction en cours et des investissements à venir dans la transformation numérique, la marge cible de l’Ebitda devrait continuer à augmenter à l’avenir», peut-on y lire. «Cela s’explique par le fait que des stocks d’immobilisations plus élevés et des durées d’amortissement relativement courtes, en raison des projets de numérisation, impliquent une augmentation des amortissements.»
Et de poursuivre: «En conséquence, des économies doivent être réalisées sur les coûts d’exploitation, afin d’éviter des résultats annuels négatifs à l’avenir.»
En d’autres termes, de nombreux hôpitaux disposent aujourd’hui de bâtiments plus sophistiqués qu’il y a 15 ans; les appareils doivent être remplacés plus rapidement; et la numérisation entraîne des coûts toujours plus élevés. C’est pourquoi un rendement de 10% ne suffit plus à renouveler et remplacer toutes ces installations de manière fiable.
Si la marge de 10% était inatteignable pour la plupart des hôpitaux depuis l’introduction du nouveau financement hospitalier en 2012, elle pourrait désormais s’avérer trop juste.
Du reste, les grandes lignes de la nouvelle étude de PwC sur les hôpitaux sont à peu près connues:
- La rentabilité des hôpitaux s’est légèrement améliorée en 2024 – PwC mentionne par exemple une marge moyenne d’Ebitdar de 4,5%.
- Le chiffre d’affaires a augmenté de 4,1% par rapport à l’année précédente. Il est à noter que les recettes des prestations stationnaires ont connu une évolution particulièrement dynamique: dans ce domaine, la croissance a doublé par rapport à 2023 – malgré l’ambulantisation du système de santé voulue par les politiques.
- Toujours est-il que la part du secteur ambulatoire dans le total des recettes des patients des hôpitaux de soins aigus est passée de 35,1% l’année précédente à 35,4% en 2024 – une augmentation certes modeste, mais néanmoins significative.
- Il est également intéressant de noter que les tarifs relevés par PwC auprès de 44 hôpitaux ont, pour une fois, augmenté, la valeur médiane étant de 2,2%.
- Mais cela n’a pas permis de compenser le renchérissement des années précédentes, loin s’en faut: PwC estime l’écart entre l’inflation et l’évolution des tarifs à 5 points de pourcentage pour les cinq dernières années.
En outre, les auteurs de l’étude expliquent la légère reprise en 2024 ainsi: les établissements seraient devenus globalement un peu plus productifs. Toutefois, cette évolution resterait trop modeste: «Avec une augmentation de la productivité de seulement 0,3% en 2024, les hôpitaux suisses devraient de toute urgence investir davantage dans l’innovation, la transformation numérique et le profilage afin d’assurer leur pérennité », indique l’étude. De fait, comme il ne devrait guère être possible de procéder à des adaptations tarifaires répétées, les hôpitaux seraient contraints d’améliorer constamment et résolument leur efficacité afin de franchir la fameuse barre des 10%.
Par où amorcer un changement ?
«Pour les hôpitaux et les services psychiatriques suisses, il n’y a plus d’autre solution que de transformer fondamentalement les structures de soins, d’innover et d’utiliser des technologies d’avant-garde», écrivent Patrick Schwendener et Philip Sommer dans leur rapport PwC.
Mais est-ce même envisageable? L’année dernière, les trois quarts des hôpitaux suisses affichaient une marge d’Ebitda inférieure à 7,3%. C’est ce qu’indique une autre évaluation, réalisée par l’association Spitalbenchmark, qui a porté sur 90% des hôpitaux suisses. L’association est parvenue à une valeur moyenne de 4%.
Anne-Geneviève Bütikofer, directrice de l’association des hôpitaux H+,
commente: «Comme par le passé, les hôpitaux et les cliniques ne peuvent tout simplement pas travailler de manière rentable dans le cadre actuel.»
Marges EBITDA de 154 hôpitaux distincts (bleu) / médiane (rouge) | Graphique: Association Spitalbenchmark
Contrairement aux consultants de PwC, les hôpitaux soulignent que le problème fondamental ne peut pas être maîtrisé sans augmentation des tarifs. Ils font notamment référence au secteur ambulatoire: «Les tarifs actuels sont loin de couvrir les coûts réels et il en résulte un sous-financement de 20 à 25%. Sur le plan économique, les hôpitaux ne sont donc pas incités à favoriser le transfert vers l’ambulatoire, un processus pourtant judicieux et visé par l’EFAS.»
H+ exige donc un changement de mentalité et une augmentation concrète et immédiate des tarifs d’au moins 5% – «afin que le sous-financement et les conséquences du renchérissement puissent être compensés au moins en partie». À l’avenir, les tarifs devraient en outre être adaptés automatiquement et systématiquement à l’inflation: «C’est la condition pour que les hôpitaux et les cliniques aient les moyens d’investir dans les nouvelles technologies, dans les infrastructures, ainsi que dans le personnel, et qu’ils puissent promouvoir l’ambulatorisation.»