«Sont-ils vraiment passés au 21ème siècle?»

Autorisations disparates, doublons administratifs, paperasse: Lukas Korner, pharmacien, explique comment l'État sape les efforts d'efficience, d'économie et de numérisation dans le secteur de la santé.

, 30 décembre 2025 à 11:15
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Image Serkan Yildiz / Unsplash
Les patientes et patients ne demandent qu'une chose: avoir accès à leurs médicaments. Comment réagissent-ils face aux nombreuses ruptures de stock?
Lukas Korner: Ils réagissent d’abord avec étonnement, mais font heureusement souvent preuve de compréhension. S’ils savaient ce qui se passe en coulisses, ils ne pourraient qu’être consternés.
Qu’entendez-vous par là?
Pour que le remplacement d’un médicament manquant soit pris en charge par les caisses maladie, conformément aux prescriptions de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), les pharmacies doivent d’abord vérifier s’il existe en Suisse un médicament alternatif contenant le même principe actif ou un principe actif similaire. Récemment, un antidépresseur était en rupture de stock. Nous avons dû renvoyer chaque patient chez son médecin afin qu’il prescrive une alternative ou confirme la nécessité de la même substance active.

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Lukas Korner est copropriétaire de la pharmacie Gränichen AG et membre du comité directeur de l'Apothekerverband Aargau.
Cette interview a d'abord été publiée dans l'«Aargauer Wirtschaft».

Et si le médecin insiste sur le médicament manquant?
Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pouvons nous procurer le médicament à l’étranger. Cela a également été le cas pour l’antidépresseur évoqué.
C’est tout de même dans l’intérêt de la clientèle.
Oui, c’est aussi ce que je pensais. Mais voici ce qui est absurde: dès qu’un médicament redevient disponible en Suisse, nous ne sommes plus autorisés à vendre les stocks achetés à l’étranger. Il n’est pas non plus possible de les renvoyer. Nous sommes donc contraints de détruire de précieux médicaments qui étaient encore manquants peu de temps auparavant.
Les fournisseurs n’ont-ils pas l’obligation de signaler les ruptures de stock?
Nous nous en rendons simplement compte au moment de la commande, lorsque le grossiste ne peut pas livrer. Nous ne recevons ni explication ni indication concernant la durée de l’indisponibilité.
Ne pourriez-vous pas fabriquer vous-même le médicament manquant?
Nous le faisons souvent lorsque l’achat à l’étranger n’est pas possible. Nous facturons selon la Liste des médicaments avec tarif (LMT) prescrite par l’OFSP. Mais certaines caisses maladie contrôlent toutes les étapes de travail autorisées. En soi, cela ne serait pas un problème, mais ce contrôle n’est pas effectué par elles: c’est nous qui devons le faire pour les caisses. Cela nous coûte des heures de travail, alors même que nous manquons de personnel qualifié.
Les pharmacies ont-elles le droit d’approvisionner directement les médecins?
C’est un point délicat. En Suisse, nous distinguons les fabricants, les grossistes et les points de remise. Pour tout ce que je remets directement aux patients dans la pharmacie, j’ai besoin d’une autorisation de commerce de détail. Mais si je vends le même médicament à un médecin, alors que je le commande exactement au même endroit, j’ai besoin d’une autorisation de commerce de gros.
«Nous devons conserver physiquement les ordonnances pendant vingt ans, même si nous les avons scannées.»
Même dans des situations exceptionnelles, je n’ai pas le droit de transmettre à un médecin un médicament acheté avec une autorisation de commerce de détail. Le transfert n’est pas autorisé non plus. Je dois donc gérer deux systèmes et obtenir en plus une autorisation de commerce de gros, certifiée par Swissmedic. Le plus ironique, c’est que tous les médicaments doivent être stockés de la même manière. Cela ne change donc rien à la sécurité, mais cela coûte énormément de temps et d’argent.
Est-ce pour cette raison qu’il existe en Suisse un nombre si élevé de grossistes?
Exactement. En Suisse, nous comptons plus de 1'000 grossistes. Ils travaillent de manière très régionale et ne stockent pas les médicaments différemment de nous, les pharmacies.
Où conservez-vous vos documents?
Voilà encore une autre absurdité! Nous devons conserver physiquement les ordonnances pendant vingt ans, même si nous les avons scannées. Il nous faut donc deux caves entières pour stocker le papier – un espace qui pourrait être alloué bien plus utilement. Et ce n’est pas tout. Prenons l’exemple d’une ordonnance pour un anesthésique puissant: elle doit être établie en trois exemplaires. Le bleu reste chez le médecin, le rose part à la caisse maladie et le blanc reste à la pharmacie. Une telle ordonnance est valable trois mois, après quoi une nouvelle doit être délivrée – également en trois exemplaires, conservés dans trois lieux différents pendant vingt ans. Je me demande si tout le monde est vraiment passé au 21ème siècle.
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