Une enquête anonyme menée par l’Association des Médecins d’Institutions de Genève (AMIG) livre un
éclairage inédit sur le quotidien des médecins aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Basée sur 106 réponses anonymes, elle met en lumière une série de problématiques récurrentes: surcharge horaire, reconnaissance insuffisante des heures supplémentaires, accès limité à la formation, souffrance psychique, harcèlement.
Première étape d’une série, cette enquête ouvre un dialogue. À suivre: la prise de parole des HUG ainsi qu’une interview avec le co-président de l’AMIG, afin d'approfondir les enjeux soulevés par cette initiative.
La liste des griefs est longue, et les problèmes évoqués touchent toutes les strates de la hiérarchie médicale: des internes aux chefs de clinique, en passant par les adjoints et les stagiaires. Un constat qui ne semble pas isolé – il fait écho à des réalités comparables dans d’autres institutions hospitalières du pays.
Un système hors des clous légaux?
Premier constat alarmant: la durée hebdomadaire de travail déclarée dépasse régulièrement les limites contractuelles. Les internes indiquent travailler en moyenne 55 heures par semaine, les chefs de clinique 52, les adjoints 56. Seuls 8% des internes et 4% des chefs de clinique déclarent respecter systématiquement le cadre légal.
«On nous a clairement indiqué, sur le cahier de l’interne, que les heures supplémentaires ne sont pas tolérées.»
Selon l'AMIG, ces dépassements restent souvent invisibles, faute de système fonctionnel de déclaration. Un tiers des internes et près d’un cinquième des chefs déclarent ne jamais pouvoir faire reconnaître leurs heures supplémentaires. D’autres évoquent des formes de culpabilisation ou des menaces. Même chez les adjoints, 25% disent ne jamais pouvoir déclarer leur temps de travail excédentaire.
«Je suis médecin et je n’ai pas dormi cette nuit.»
Afin d'inciter les employés à se prononcer sur leurs conditions de travail, l’AMIG a lancé une
campagne d’affichage dans plusieurs services des HUG, accompagnée d’un QR code renvoyant vers un questionnaire anonyme. En quelques semaines, 106 médecins ont répondu. L’objectif: faire émerger des récits concrets du terrain et ouvrir un dialogue avec l’institution.
Par son ton volontairement interpellant, cette initiative contraste avec l’
enquête de satisfaction menée par les HUG en 2022, qui affichait un taux de satisfaction de plus de 70%. Il est possible que cette démarche ait davantage mobilisé celles et ceux qui se sentent en difficulté – une vision partielle, mais révélatrice d’un malaise bien réel dans une partie du corps médical.
La compensation des heures supplémentaires – qu’il s’agisse de repos ou de rémunération – semble également rester l’exception plutôt que la règle. Seuls 4% des internes et 11% des chefs déclarent être systématiquement indemnisés.
Une organisation mise à l’épreuve
Le manque de prévisibilité dans les plannings complique l’équilibre entre vie privée et professionnelle. Un quart des internes et près d’un cinquième des chefs disent ne jamais connaître leur emploi du temps à l’avance. La récupération post-garde est également mise à mal: 43% des internes et 36% des chefs estiment ne pas bénéficier d’un repos suffisant.
«Les centaines d’heures à faire du travail administratif derrière l’ordinateur m’ont empêché de progresser sur le plan clinique.»
Un tiers des internes disent ne jamais avoir assez de temps à consacrer aux patients. La multiplication des tâches administratives, le manque de stabilité dans les équipes de supervision, et une charge de travail fragmentée sont fréquemment évoqués.
Une santé mentale fragilisée
Près de la moitié des internes et chefs de clinique estiment que leur activité a un effet délétère sur leur santé mentale. Les signes de burn-out sont omniprésents, parfois jusqu’à la rupture.
«Je suis dans une forme de dépression légère mais chronique depuis que j'ai commencé mon internat et j'attends de trouver ma voie, qui sera peut-être hors du domaine médical.»
Chez les adjoints, 100% des répondants évoquent un impact négatif sur leur équilibre psychique, dont 88% signalent des signes fréquents de burn-out. Plusieurs déclarent avoir songé à abandonner la médecine.
«J’ai le sentiment que nous sommes beaucoup de médecins à être dans un état de burn-out ou «pré burn-out» permanent».
Les témoignages de harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel sont nombreux et traversent toutes les strates hiérarchiques. Près de la moitié des internes et des chefs de clinique déclarent en avoir été victimes, tandis que plus de 60% affirment en avoir été témoins. Certaines remarques relatées témoignent de stéréotypes sexistes encore bien présents: «Les enfants, c’est pour les femmes. Pas de 80% pour les hommes», rapporte un-e adjoint-e. D’autres voix dénoncent un climat plus largement délétère: «La maltraitance est quasi ubiquitaire, reconnue ou non comme telle par ses victimes.»
Un appel à l’écoute – et à l’action
Si l’enquête reste limitée par la taille de l’échantillon, la constance des témoignages interpelle. La souffrance décrite n’apparaît pas comme marginale, mais comme structurelle.
L’AMIG se défend toutefois de toute posture de confrontation. L’objectif affiché est d’ouvrir un dialogue constructif avec l’institution, en s’appuyant sur des données concrètes. Le constat dressé par cette enquête ne vise donc pas à alimenter la polémique, mais à poser une question simple: comment améliorer, concrètement et rapidement, les conditions de travail des médecins hospitaliers?